Page:Aunet - Voyage d’une femme au Spitzberg, 1872.pdf/243

Cette page a été validée par deux contributeurs.
231
AU SPITZBERG.

rive opposée, les arbres s’éclaircirent ; ils disparurent au pied d’une montagne élevée à laquelle notre guide donnait le nom de Kormovara. Cette montagne n’avait rien d’encourageant ; elle s’élevait devant nous sans beaucoup plus de douceur qu’une muraille : il fallait avancer rapidement. Nous mîmes pied à terre, et on déchargea les chevaux de bagage ; les hommes se partagèrent les fardeaux, et alors commença une ascension très-pénible. Le versant de cette montagne était couvert d’une mousse molle, humide, glissante, sur laquelle on ne pouvait tenir pied, et qui restait aux mains si on s’y accrochait. Sans quelques bouleaux qu’on trouvait de distance en distance, on n’aurait jamais, je crois, atteint le sommet. Les arbres étaient des haltes de salut pour tout le monde : bêtes et gens en profitaient pour respirer une minute. Les chevaux fatigués savaient très-bien se placer d’eux-mêmes au-dessus d’un arbre, afin de se servir du tronc comme d’un point d’appui pour ne pas glisser. Vers le milieu de notre ascension, une pluie pénétrante vint ajouter à nos difficultés, et je crus que, pour ma part, il me serait impossible de voir la fin de cette terrible montagne. Gênée par mes lourdes bottes, embarrassée dans mes vêtements chargés d’eau, je pouvais à peine faire un pas sans tomber, et je fis plus de chemin sur mes genoux que sur mes pieds. Enfin, après trois heures d’efforts inouïs, nous gagnâmes le plateau supérieur. J’étais à demi morte, et, à la vue d’un terrain plat, sans écouter aucune observation, je me couchai dans mon manteau sur la terre, et, malgré la froide pluie, je n’endormis de ce sommeil de plomb que procure l’épuisement.