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VOYAGE D’UNE FEMME

orientées grand largue, ce qui le faisait ressembler à un vol d’oiseaux de mer émigrant à tire-d’ailes. Nous tournâmes un grand rocher ; nous vîmes encore les chapeaux de notre amicale escorte s’agiter en l’air en notre honneur, puis tout disparut à nos yeux.

Nous faisions nos premiers pas sur chemin de la Laponie.

Le soir de ce jour, nous n’essayâmes pas encore notre tente : nous allâmes coucher chez un de nos conducteurs, à quelques lieues dans les terres. La maisonnette du guide Mathisen était construite dans un lieu plein d’un charme sauvage : posée à mi-côte d’une colline boisée, elle était toute cachée par les broussailles, et, avec son toit d’herbe, on eût dit un nid. À quarante pieds au-dessous de la maison miroitait un petit lac profondément encaissé dans ses berges vertes ; derrière les berges s’élevait une muraille de hauts rochers : cette fortification naturelle n’était interrompue qu’à un seul endroit, où se formait une gorge étroite dont le lac profitait pour se répandre comme une coupe trop pleine et s’enfuir en cascades. Au-dessus des rochers, la colline était tantôt abrupte et aride, tantôt boisée de bouleaux et de pins, partout agreste et inculte. Ce qui saisissait l’âme de ce paysage, c’était sa grâce sévère, son calme suprême et indicible : la main de l’homme n’avait passé là nulle part, et, on le sentait, les rochers n’avaient jamais été gravis, la prairie n’avait jamais été fauchée, les arbres tombaient de vétusté les uns sur les autres : pas de barques au bas du lac, pas de sentier dans l’herbe, pas de fumée à l’hori-