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VOYAGE D’UNE FEMME

vait pas voulu m’admettre ; je restai seule à bord avec le capitaine, qui, vous le savez, ne quitte jamais son navire. La première partie du jour se passa bien, et j’enviais le sort de ceux qui allaient se rapprocher du pôle de quelques lieues encore ; ils allaient peut-être arriver jusqu’à la grande banquise de glace, but de toutes nos ambitions. Je me fis des raisonnements de nature à calmer mon regret ; je finis par trouver ma situation déjà suffisamment élevée en latitude, et je me dis qu’il ne fallait pas trop jalouser ces pauvres hommes, dont l’orgueil n’avait pas exigé plus de douze ou quinze lieues d’avantage sur moi. Pour occuper ces longues heures où la corvette, privée de tous ses passagers, me semblait si déserte, je me mis à écrire des lettres et à remplir ainsi ma solitude avec tous les êtres chers que j’avais laissés loin de moi. Vers quatre heures, je fus forcée de m’interrompre ; je n’y voyais plus dans ma chambre ; une brume épaisse ne laissait plus passer de lumière à travers les épaisses rondelles de verre qui me tenaient lieu de fenêtre. Je montai sur le pont ; j’y trouvai le capitaine occupé à regarder à l’aide de sa lunette toute une flottille de grosses glaces qui prenait position à l’entrée de la baie ; ce spectacle me remplit d’une indicible angoisse.

« Capitaine, dis-je, que se passe-t-il ? La baie va être bientôt fermée par toutes ces glaces.

— Ne vous inquiétez pas, me répondit le commandant, il n’y a rien à craindre encore ; il ne fait pas assez froid pour que les glaces se soudent ; au reste, je vais envoyer une chaloupe là-bas pour reconnaître s’il s’est formé un barrage.