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VOYAGE D’UNE FEMME

seulement la marche ; nous la suivrons de près, va ; nous avons bien un an de vivres à bord, mais nous n’avons pas de combustible ; ici, on ne trouve pas de bois de quoi allumer une pipe, et l’hiver il doit y souffler une drôle de bise, à en juger par la canicule !

— Et puis quelle femme est-ce ? dit un timonier, sur un ton légèrement méprisant ; une femme pâlotte, menue, maigrette, avec des pieds comme des biscuits à la cuiller et des mains à ne pas soulever un aviron ; une femme à casser sur le genou et à mettre les morceaux dans sa poche. Si c’était une femme de chez nous, encore (il était Breton) ! Dans le Ponant nous avons des commères qui ne sont pas embarrassées pour hisser une voile et manœuvrer une barque ; nos femmes valent presque un homme ; mais celle-là, avec sa mine mièvre de Parisienne, elle est frileuse comme une perruche du Sénégal. À supposer que nous serions pris, elle mourra au premier froid : c’est sûr. »

Il y eut un silence pendant lequel chacun ranima sa pipe ; puis celui qui avait parlé le premier reprit en manière de conclusion :

« Ah ! au fait, ça ne nous regarde pas ; c’est à ceux qui ont fait la bêtise de l’amener à s’en inquiéter. Eh bien ! si on hiverne, elle fera comme elle pourra ; elle fera comme tout le monde. »

Le maître d’équipage avait jusque-là écouté la conversation sans y prendre part ; à ce moment, il en renoua le fil interrompu en disant :

« Mes enfants, j’en suis fâché pour vous, mais vous n’avez pas le sens commun pour le quart d’heure ; comment, vous, les quatre meilleurs et plus anciens