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VOYAGE D’UNE FEMME AU SPITZBERG.

qu’au dernier : celui-là, plus robuste et plus infortuné que les autres, n’avait nulle main amie pour l’assister à sa dernière heure et préserver sa dépouille par de pieuses précautions ; celui-là devenait la proie des ours aussitôt qu’il avait rendu le dernier soupir, ou peut-être dès qu’il ne pouvait plus se défendre.

Je restai longtemps seule, près de ces tombes, songeant à ces destinées, pleine de pitié, émue, absorbée, rêvant et priant ; puis, je fis le dessin de la petite presqu’île où est situé le cimetière, et comme, en revenant à bord, je fis remarquer qu’elle n’était pas indiquée sur les grandes cartes, le capitaine la nomma presqu’île des Tombeaux.

Pendant deux ou trois jours, la pensée d’un hivernage possible m’obséda ; il paraît que je n’étais pas seule à bord à m’en préoccuper, et voici comment j’en fus instruite :

Un matin, j’étais silencieusement assise sur un canon, blottie sous un énorme manteau de fourrure, regardant tour à tour le ciel, la mer et leurs aspects étranges, lorsque mon nom prononcé au milieu d’un petit groupe de matelots attira mon attention. Les premiers mots que j’entendis distinctement furent ceux-ci :

« Aussi quelle idée d’avoir emmené une femme ! Est-ce que c’est des courses de femmes, des voyages comme celui-ci ?

— Ah ! ça, c’est vrai, dit un autre, et si nous sommes pris dans ces beaux cristaux-là, comme tu viens de l’expliquer, on peut être bien sûr qu’elle partira la première.

— Eh ! mon vieux, reprit le premier, elle ouvrira