Page:Aunet - Voyage d’une femme au Spitzberg, 1872.pdf/186

Cette page a été validée par deux contributeurs.
174
VOYAGE D’UNE FEMME AU SPITZBERG.

gnon, une colonne imite une immense table, une tour se change en escalier : tout cela si rapide et si inattendu, qu’on songe malgré soi à quelque volonté surnaturelle présidant à ces transformations subites. Du reste, au premier moment, il me vint à l’esprit que j’avais sous les yeux les débris d’une ville de fées, détruite tout à coup par une puissance supérieure, et condamnée à disparaître sans même laisser de vestige. Je voyais se heurter autour de moi des morceaux d’architecture de tous les styles et de tous les temps : clochers, colonnes, minarets, ogives, pyramides, tourelles, coupoles, créneaux, volutes, arcades, frontons, assises colossales, sculptures délicates comme celles qui courent sur les menus piliers de nos cathédrales, tout était là confondu, mélangé dans un commun désastre. Cet ensemble étrange et merveilleux, la palette ne peut le reproduire, la description ne peut le faire comprendre !

On se représente, n’est-ce pas, ce lieu, où tout est froid et inerte, enveloppé d’un silence profond et lugubre ? Eh bien, c’est tout le contraire qu’il faut se figurer ; rien ne peut rendre le formidable tumulte d’un jour de dégel au Spitzberg.

La mer, hérissée de glaces aiguës, clapote bruyamment ; les pics élevés de la côte glissent, se détachent et tombent dans le golfe avec un fracas épouvantable ; les montagnes craquent et se fendent ; les vagues se brisent furieuses contre les caps de granit ; les îles de glace, en se désorganisant, produisent des pétillements semblables à des décharges de mousqueterie ; le vent soulève des tourbillons de neige avec de rauques mugissements : c’est terrible