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VOYAGE D’UNE FEMME

énorme masse de rochers ayant quelque ressemblance avec une tour carrée, colossale, demi-ruinée : c’est le cap Nord.

Je voyais donc enfin se dresser près de moi la grande forteresse de la terre qui depuis tant de siècles défend l’Europe des empiétements de l’Océan furieux. On s’aperçoit que la victoire persistante du géant de granit n’a pas toujours été facile ; ses larges flancs sont sillonnés de crevasses profondes ; ses gigantesques assises sont ébranlées et écornées ; çà et là, on distingue quelque échancrure : c’est l’endroit où une vague a enlevé un bloc de pierre. Je voyais donc enfin ce célèbre cap du Nord, atteint par un si petit nombre de voyageurs ; je le voyais sous un ciel pur, lorsque les flots verts de l’Océan calmé jetaient à peine quelques broderies d’écume blanche sur ses piliers massifs ; je le voyais sous son aspect paisible, éclairé par la magie d’un beau jour, et j’étais émue. Que doit-ce être l’hiver, lorsque l’Océan gonflé de tempêtes précipite ses montagnes liquides sur la montagne solide ; lorsque les masses de glaces se brisent avec fracas contre les arêtes de granit, alors que les ouragans déchaînés mêlent leurs grondements à ces tonnerres, et que la lueur vague et pâlissante de l’aurore boréale projette ses rayons blafards sur cette lutte éternelle et terrible ? Oh ! ce doit être un spectacle à épouvanter le regard humain !

J’aurais vivement désiré faire l’ascension du cap Nord, fouler pour la première fois d’un pied féminin la plate-forme qui le termine, et cueillir un de ces jolis myosotis bleus qu’on recueille, m’a-t-on dit, sur l’une de ses pentes inférieures ; douces fleurs d’azur