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VOYAGE D’UNE FEMME

aux chambres ; les unes ont trois pieds et les autres à peine cinq ; on ne peut regarder dehors sans ôter son chapeau ni entrer sans se baisser ; en outre, les habitants aiment tant la clarté, qu’ils ne placent jamais rien aux fenêtres pour intercepter la lumière. On doit donc, l’été, subir la clarté perpétuelle ou se faire une obscurité factice à l’aide de châles et de manteaux qu’on accroche devant ses vitres. Malgré cet expédient, auquel j’avais eu recours, j’eus beaucoup de peine à me faire à ces journées sans limites : elles me jetaient dans un malaise et une anxiété inexprimables ; l’ordre de mes habitudes se trouvait entièrement interverti ; je me levais à midi, je dînais à onze heures du soir, j’allais me promener à deux heures du matin ; je ne savais plus quand je devais me coucher ni me lever, et le sommeil m’était devenu presque impossible. Si l’on n’avait pas à Hammerfest une montre et un calendrier, on ne saurait bientôt plus comment on vit, et on pourrait arriver à être en avance ou en retard de quinze jours avec le reste du monde, sans s’en apercevoir. Le régime de ce séjour ne touche au luxe par aucun côté, comme vous pensez ; si l’on est mal logé, on est plus mal nourri, et la monotonie du menu auquel on est réduit n’en est pas le moindre défaut. Le veau et le saumon forment le fond immuable de la nourriture ; les soupes se varient entre l’orge aux tranches de citron et le seigle aux cerises sèches ; les jours de gala, on obtient des pommes de terre, du renne rôti et du lait. Sous l’influence de ce traitement, on arriverait à faire des folies pour un bouillon ; mais des folies n’auraient pas suffi pour atteindre ce rêve de