donc de grandes salles, où règne un inexprimable encombrement composé de poisson salé, de fourrures et de rubans, trois objets résumant les besoins du peuple du Nordland : il se nourrit du poisson, se couvre des fourrures et se pare des rubans. Ces rubans diffèrent beaucoup des nôtres : mélange d’indigence et de luxe, ils sont presque toujours en coton broché d’or ou d’argent ; ceux de soie sont très-rares et énormément chers. Tromsoë, comme toute la côte stérile de la Norwége occidentale, n’est alimenté que par les provenances étrangères ; les Russes y amènent du beurre, de la farine, des eaux-de-vie de grain ; les Danois et les Hollandais, des pommes de terre, du vin, du bœuf salé, des moutons, des poules, du jambon, etc. On y vit mal et chèrement ; le poisson et la viande de renne seuls y sont à bas prix. À propos de viande de renne, c’est à Tromsoë qu’on me servit pour la première fois de cette venaison inconnue au Café de Paris et à la Maison-d’Or. Le renne a une chaire noire et tendre rappelant un peu le foie de veau, avec un assez haut goût sauvageon qui étonne le palais ; c’est un de ces mets dont on médit d’abord et qu’on apprécie ensuite. Le reste de notre repas se composait de pommes de terre cuites à l’eau et d’un potage fait avec des grains d’orge et des cerises sèches nageant dans de l’eau rougie. Ce chaudeau fantaisiste abusait trop de notre appétit pour être accepté ; on s’en tint au solide, arrosé de vin de Porto. Le repas était servi dans une espèce de halle de planches blanchies à la chaux, dont nous eûmes la jouissance tout un jour. Le festin et ce palais coûtèrent deux species (environ onze
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VOYAGE D’UNE FEMME