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VOYAGE D’UNE FEMME

s’endort sur un plancher solide. Le pêcheur, c’est l’amant du danger, cette poésie des hommes primitifs.

Comme nous quittions les Loffoden, le temps devint affreux ; un coup de vent débouqua violemment de derrière les îles et nous jeta sur le côté, en même temps que de gros nuages noirs nous couvraient d’une averse glaciale. La cabine du bateau, très-encombrée de monde, était devenue inhabitable ; les sifflements du vent, les gémissements de la machine luttant péniblement contre les grosses vagues, les bruits aigus de tous les verres et de toutes les assiettes qui s’entre-choquaient, les coups sourds des ballots mal amarrés tombant les uns sur les autres, grincements des tables, des lits, des bancs, les cris inarticulés des femmes effrayées, les grognements des malades, tout cela faisait le plus inexprimable tapage qu’on puisse rêver, l’orchestre d’un charivari tout composé de plaintes, comme il doit y en avoir en enfer. Dans les chambres, dans les escaliers, l’encombrement était nauséabond et affreux : c’était à ne savoir où se réfugier. Je trouvai la pluie encore préférable à la contagion du mal de mer, et je me confinai sur le pont, près de la coupée, d’où je regardai philosophiquement la mer jouer avec notre coquille de noix. J’eus dans mon coin une compagnie à laquelle j’étais loin de m’attendre, et qui d’abord me surprit beaucoup : ce fut celle de deux belles baleines. Je vis s’élever au-dessus de l’eau, tout près moi, une espèce petit monticule noirâtre, d’où sortaient deux minces jets d’eau ; un peu plus loin, j’en aperçus un second de même forme : c’étaient les têtes de ces bêtes monstrueuses, dont les squelettes