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AU SPITZBERG.

bleau sont noirs, gris ou blancs ; on n’est pas habitué à cette absence de couleur dans les œuvres de Dieu, et on éprouve une impression étrange ; ce n’est pas un paysage, c’est un immense dessin à la manière noire, ébauché par l’ange de la désolation.

Les îles Loffoden sont vraisemblablement un amas de rochers apportés pêle-mêle par l’Océan dans quelque bouleversement diluvien ; dans tout le groupe d’îles, on ne trouverait pas assez de terre pour faire pousser un boisseau d’orge ; mais en compensation, si tant est que des poissons compensent des épis, Dieu y envoie toute espèce de poissons, des morues surtout. Les morues apparaissent dans ces parages nombreuses et excellentes ; les pêcheurs de Christiania et même de Bergen viennent aux Loffoden pendant toute la saison de pêche. C’est une dure vie que celle de ces pêcheurs. Ils font d’abord deux ou trois cents lieues avec de mauvais bateaux sur une mer des plus perfides ; arrivés aux Loffoden, ils habitent de misérables huttes, où ils sont à peine garantis des intempéries ; ils ont une nourriture malsaine qui souvent leur donne le scorbut ; enfin, pendant leur séjour, ils exposent sans cesse leur vie dans les travaux de la pêche. Au bout de tant de périls et de peines, il y a un bénéfice qui ne dépasse jamais trois ou quatre cents francs ! Et cependant ces hommes ne se trouvent pas malheureux ; ils ne sont pas tristes, bien mieux, ils préfèrent cette rude existence à tout autre métier ; le fils du pêcheur est toujours pêcheur ; il aime sa vie sans cesse disputée à la mer, et dédaigne le sort plus doux et plus monotone du paysan, qui cultive son champ étroit et