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AU SPITZBERG.

sa barque, la poche lourde d’argent, la tête lourde de vin, et s’en retournait à sa maison isolée. Il remettait l’habit vert dans l’armoire en songeant déjà au jour où il l’en retirerait. Combien de gens sont à Paris qui ont tous les jours du vin, du soleil et du monde, et qui s’ennuient ! Le bonheur n’est qu’une comparaison.

Après avoir dépassé la montagne percée, nous nous trouvâmes dans un bras de mer assez étroit pour avoir l’air d’une rivière. Parfois les murailles de granit de la côte se rapprochaient de manière à ne laisser au bateau que la place nécessaire pour passer. Notre manœuvre en ces moments-là me rappelait certains jeux de voltige du cirque, où l’on voit les écuyers sauter dans d’étroits cerceaux ou entre des piquets rapprochés.

Le bateau était lancé à toute vapeur entre deux piliers de granit ; une déviation d’un mètre nous eût écrasés comme une mouche sur ces terribles écueils ; mais chaque fois nous passions au milieu d’eux avec tant de grâce et d’agilité que, après avoir légèrement tremblé, je l’avoue, j’avais fini par prendre un certain plaisir à assister à cette victoire de l’adresse sur le danger. J’aurais dû dès l’abord être parfaitement tranquille, car rien n’égale la précision et l’habileté des pilotes du Finmark. De temps en temps la muraille naturelle s’interrompait à notre gauche, et alors la pleine mer faisait irruption autour de nous avec un triomphe et une fureur magnifiques à voir.

Après avoir doublé je ne sais combien de caps, longé d’innombrables bancs de rochers, évité des