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VOYAGE D’UNE FEMME

bizarres, au milieu desquels descendent, se heurtent et s’entre-croisent une innombrable quantité de cascades ; une d’elles, large comme une rivière et violente comme un torrent, jaillit du sommet, arrache à chacun de ses bonds quelque fragment du rocher, puis se précipite avec une incroyable furie dans un pli du vallon, où elle disparaît sans qu’on puisse s’expliquer comment. Je commençai par admirer ; puis savez-vous l’effet que cela me produisit ? Je m’endormis. Étendue sur la pierre humide, couverte par la froide vapeur de l’eau, bercée par ce tonnerre, je goûtai là quatre heures du repos le plus profond, et j’y dormirais je crois encore, si, les chevaux étant arrivés, on ne m’avait enfin découverte dans la retraite que j’osais partager avec une énorme grenouille aux yeux calmes, naïade de la cascade, tout étonnée de recevoir une mortelle.

Près de Kongswold, la route s’attache au flanc âpre de la montagne, où elle forme à peine saillie ; elle étreint le géant de granit dans une longue et mince spirale ; souple comme un lacet, elle fait mille détours, passe par-dessus les rochers, évite les cascades, tourne les précipices, et, vue de loin, doit sembler pareille à une corniche légère et capricieuse courant autour d’un colosse informe. Par moments on se trouve dans une gorge si resserrée, qu’un arbre jeté en guise de pont pourrait aider à traverser le précipice et faire gagner l’autre versant. C’est quelque chose d’effrayant, de regarder d’aussi près une de ces énormes montagnes des grandes chaînes du globe : l’œil plonge dans des gouffres qui, de loin, ne seraient que des fentes, et se fatigue à en mesurer la