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AULU-GELLE


et de sang-froid : « D’où juges-tu que je suis en colère, misérable ? Est-ce mon air, ma voix, mon visage, mes paroles, qui te font croire que la colère s’est emparée de moi ? Mon regard, je pense, n’est point égaré, mon visage n’est point troublé, je ne pousse point de cris menaçants, ma bouche n’écume point de fureur, le sang ne me monte point au visage ; je ne tiens point de propos dont j’aie à rougir ou à me repentir ; tu ne vois point en moi de mouvements brusques, d’agitation convulsive. Car, si tu l’ignores, sache que ce sont là les signes ordinaires de la colère. » Plutarque se tournant ensuite vers l’esclave qui frappait : « Achève ta besogne, pendant que ton camarade et moi nous philosophons. » En résumé, voici l’opinion de Taurus : il met une différence entre l’homme qui est exempt de colère et celui qui est froid et indifférent ; pour lui, une âme modérée est autre chose qu’une âme insensible et glacée (ἀναλγῆτον καὶ ἀναίσθητον). Comme tous les autres mouvements de l’âme, que les philosophes latins appellent affectus ou affectiones, les Grecs πάθη, ce ressentiment, qu’on appelle colère quand le désir de la vengeance le rend plus violent, ne doit pas être tout à fait banni par le sage : on ne demande pas au sage l’absence complète (στέρησις comme disent les Grecs) de cette passion, mais seulement la modération, μετριότης.