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LA BONNE PETITE SOURIS.

mait sans sujet et sans raison. Je m’enfuis un jour, et ne sachant où aller, je m’arrêtai dans un bois. Le fils du méchant roi s’y vint promener ; il me demanda si je voulais servir à sa basse-cour. Je le voulus bien ; j’eus soin des dindons ; il venait à tout moment les voir, et il me voyait aussi. Hélas ! sans que j’en eusse envie, il se mit à m’aimer tant et tant, qu’il m’importune fort.

La fée, a ce récit, commença de croire que la dindonnière était la princesse Joliette. Elle lui dit : Ma fille, apprenez-moi votre nom ? — Je m’appelle Joliette, pour vous rendre service », dit-elle. À ce mot la fée ne douta plus de la vérité ; et lui jetant les bras au cou, elle pensa la manger de caresses ; puis elle lui dit : Joliette, je vous connais il y a longtemps, je suis bien aise que vous soyez si sage et si bien apprise ; mais je voudrais que vous fussiez plus propre, car vous ressemblez à une petite souillon ; prenez les beaux habits que voilà, et vous accommodez.

Joliette, qui était fort obéissante, quitta aussitôt le torchon gras qu’elle avait dessus la tête, et la secouant un peu, elle se trouva toute couverte de ses cheveux, qui étaient blonds comme un bassin, et déliés comme fils d’or. Ils tombaient par boucles jusqu’à terre. Puis prenant dans ses mains délicates de l’eau à une fontaine qui coulait proche le poulailler, elle se débarbouilla le visage, qui devint aussi clair qu’une perle orientale. Il semblait que des roses s’étaient épanouies sur ses joues et sur sa bouche ; sa douce haleine sentait le thym et le serpolet ; elle avait le corps plus droit qu’un jonc ; en temps d’hi-