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LE RAMEAU D’OR

disait-elle, d’être disgraciée de la nature au point que je le suis ! Eh que l’on est heureuse quand on est belle ! En disant ces mots, elle avait les larmes aux yeux ; puis se voyant dans un miroir, elle se tourna brusquement ; mais elle fut bien étonnée de trouver derrière elle une petite vieille, coiffée d’un chaperon, qui était la moitié plus laide qu’elle ; et la jatte où elle se traînait, avait plus de vingt trous, tant elle était usée. Princesse, lui dit cette vieillotte, vous pouvez choisir entre la vertu et la beauté ; vos regrets sont si touchants, que je les ai entendus. Si vous voulez être belle, vous serez coquette, glorieuse et très galante ; si vous voulez rester comme vous êtes, vous serez sage, estimée et fort humble. Trognon regarda celle qui lui parlait ; et lui demanda si la beauté était incompatible avec la sagesse. — Non, lui dit la bonne femme ; mais à votre égard il est arrêté que vous ne pouvez avoir que l’une des deux. — Hé bien, s’écria Trogon d’un air ferme, je préfère ma laideur à la beauté. — Quoi ! vous aimez mieux effrayer ceux qui vous voient ? reprit la vieille. — Oui, madame, dit la princesse, je choisis plutôt tous les malheurs ensemble, que de manquer de vertu. — J’avais apporté exprès mon manchon jaune et blanc, dit la fée ; en soufflant du côté jaune, vous seriez devenue semblable à cette admirable bergère qui vous a paru si charmante, et vous auriez été aimée d’un berger dont le portrait a arrêté vos yeux plus d’une fois ; en soufflant du côté blanc, vous pourrez vous affermir encore dans le chemin de la vertu, où vous entrez si courageusement. — Hé ! madame, reprit la princesse,