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LE MOUTON

ironique : je veux te faire connaître ma puissance ; tu es un lion à présent, tu vas devenir un mouton.

Aussitôt elle me toucha de sa baguette, et je me trouvai métamorphosé comme vous voyez. Je ne perdis point l’usage de la parole, ni les sentiments de douleur que je devais à mon état. — Tu seras cinq ans mouton, dit-elle, et maître absolu de ces beaux lieux ; pendant qu’éloignée de toi, et ne voyant plus ton agréable figure, je ne songerai qu’à la haine que je te dois.

Elle disparut. Et si quelque chose avait pu adoucir ma disgrâce, ç’aurait été son absence. Les moutons parlants, qui sont ici, me reconnurent pour leur roi ; ils me racontèrent qu’ils étaient des malheureux qui avaient déplu par plusieurs sujets différents à la vindicative fée, et qu’elle en avait composé un troupeau ; que leur pénitence n’était pas aussi longue pour les uns que pour les autres. En effet, ajouta-t-il, de temps en temps ils redeviennent ce qu’ils ont été, et quittent le troupeau. Pour les autres, ce sont des rivales ou des ennemies de Ragotte, qu’elle a tuées pour un siècle ou pour moins, et qui retourneront ensuite dans le monde. La jeune esclave dont je vous ai parlé est de ce nombre ; je l’ai vue plusieurs fois de suite avec plaisir, quoiqu’elle ne me parlât point, et qu’en voulant l’approcher, il me fût fâcheux de connaître que ce n’était qu’une ombre ; mais ayant remarqué un de mes moutons assidu près de ce petit fantôme, j’ai su que c’était son amant, et que Ragotte, susceptible des tendres impressions, avait voulu le lui ôter.

Cette raison m’éloigna de l’ombre esclave ; et depuis