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LE MOUTON

serrant la bouche pour l’avoir plus agréable, et roulant les yeux, je serai ta petite Ragotte, j’ajouterai vingt royaumes à celui que tu possèdes, cent tours pleines d’or, cinq cents pleines d’argent ; en un mot, tout ce que tu voudras.

— Madame Ragotte, lui dis-je, ce n’est point dans le fond d’un trou où j’ai pensé être rôti, que je veux faire une déclaration à une personne de votre mérite ; je vous supplie, par tous les charmes qui vous rendent aimable, de me mettre en liberté, et puis nous verrons ensemble ce que je pourrai pour votre satisfaction. — Ha ! traître, s’écria-t-elle, si tu m’aimais, tu ne chercherais point le chemin de ton royaume ; dans une grotte, dans une renardière, dans les bois, dans les déserts, tu serais content. Ne crois pas que je sois novice ; tu songes à t’esquiver, mais je t’avertis qu’il faut que tu restes ici ; et la première chose que tu feras, c’est de garder mes moutons : ils ont de l’esprit, et parlent pour le moins aussi bien que toi.

En même temps, elle s’avança dans la plaine où nous sommes, et me montra son troupeau. Je le considérai peu ; cette belle esclave qui était auprès d’elle m’avait semblé merveilleuse ; mes yeux me trahirent. La cruelle Ragotte y prenant garde, se jeta sur elle, et lui enfonça un poinçon si avant dans l’œil, que cet objet adorable perdit sur-le-champ la vie. À cette funeste vue, je me jetai sur Ragotte, et mettant l’épée à la main, je l’aurais immolée à des mânes si chers, si par son pouvoir elle ne m’eût rendu immobile. Mes efforts étant inutiles, je tombai par terre, et je cherchais les moyens de me tuer pour me délivrer de l’état où j’étais, quand elle me dit, avec un sourire