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LE MOUTON

elles lui présentèrent des fruits dans des corbeilles d’ambre ; mais lorsqu’elle voulut s’approcher d’elles, insensiblement leur corps s’éloignèrent ; elle allongea le bras pour les toucher, elle ne sentit rien, et reconnut que c’était des fantômes. Ah ! qu’est ceci ? s’écria-t-elle. Avec qui suis-je ? Elle se prit à pleurer ; et le roi Mouton (car on le nommait ainsi), qui l’avait laissée pour quelques moments, étant revenu auprès d’elle, et voyant couler ses larmes, en demeura si éperdu, qu’il pensa mourir à ses pieds.

Qu’avez-vous, belle princesse ? lui dit-il. A-t-on manqué dans ces lieux au respect qui vous est dû ? Non, lui dit-elle, je ne me plains point, je vous avoue seulement que je ne suis pas accoutumée à vivre avec les morts et avec les moutons qui parlent : tout me fait peur ici ; et quelque obligation que je vous aie de m’y avoir amenée, je vous en aurai encore davantage de me remettre dans le monde.

— Ne vous effrayez point, répliqua le mouton, daignez m’entendre tranquillement, et vous saurez ma déplorable aventure.

Je suis né sur le trône. Une longue suite de rois que j’ai pour aïeux, m’avait assuré la possession du plus beau royaume de l’univers ; mes sujets m’aimaient, et j’étais craint et envié de mes voisins, et estimé avec quelque justice. On disait que jamais roi n’avait été plus digne de l’être. Ma personne n’était pas indifférente à ceux qui me voyaient ; j’aimais fort la chasse ; et m’étant laissé emporter au plaisir de suivre un cerf qui m’éloigna un peu de tous ceux qui m’accompagnaient, je le vis tout d’un coup se