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LE PRINCE

» Une fée dont le savoir n’a rien d’égal, s’entêta si fort d’un certain prince, qu’encore qu’elle fût la première fée qui eût eu la faiblesse d’aimer, elle ne laissa pas de l’épouser en dépit de toutes les autres, qui lui représentaient sans cesse le tort qu’elle faisait à l’ordre de féerie : elles ne voulurent plus qu’elle demeurât avec elles et tout ce qu’elle put faire, ce fut de se bâtir un grand palais proche de leur royaume. Mais le prince qu’elle avait épousé se lassa d’elle : il était au désespoir de ce qu’elle devinait tout ce qu’il faisait. Dès qu’il avait le moindre penchant pour une autre, elle lui faisait le sabbat, et rendait laide à faire peur la plus jolie personne du monde.

» Ce prince se trouvant gêné par l’excès d’une tendresse si incommode, partit un beau matin sur des chevaux de poste, et s’en alla bien loin, bien loin, se fourrer dans un grand trou au fond d’une montagne, afin qu’elle ne pût le trouver. Cela ne réussit pas ; elle le suivit et lui dit qu’elle était grosse, qu’elle le conjurait de revenir à son palais ; qu’elle lui donnerait de l’argent, des chevaux, des chiens, des armes ; qu’elle ferait faire un manége, un jeu de paume et un mail pour le divertir. Tout cela ne put le persuader ; il était naturellement opiniâtre et libertin. Il lui dit cent duretés ; il l’appela vieille fée et loup-garou. Tu es bien heureux, lui dit-elle, que je suis plus sage que tu n’es fou ; car je ferais de toi, si je voulais, un chat criant éternellement sur les gouttières, ou un vilain crapaud