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LA CHATTE BLANCHE.

étaient moins beaux que celui de leur cadet, y consentirent. Chacun partit de son côté, sans se faire autant d’amitié que la première fois, car le tournebroche les avait un peu refroidis.

Notre prince reprit son cheval de bois, et sans vouloir chercher d’autres secours que ceux qu’il pourrait espérer de l’amitié de Chatte-Blanche, il partit en toute diligence, et retourna au château où elle l’avait si bien reçu. Il en trouva toutes les portes ouvertes ; les fenêtres, les toits, les tours et les murs étaient bien éclairés de cent mille lampes qui faisaient un effet merveilleux. Les mains qui l’avaient si bien servi s’avancèrent au-devant de lui, prirent la bride de l’excellent cheval de bois, qu’elles menèrent à l’écurie pendant que le prince entra dans la chambre de Chatte-Blanche.

Elle était couchée dans une petite corbeille, sur un matelas de satin blanc, très propre. Elle avait des cornettes négligées, et paraissait abattue ; mais quand elle aperçut le prince, elle fit mille sauts et autant de gambades, pour lui témoigner la joie qu’elle avait. « Quelque sujet que j’eusse, lui dit-elle, d’espérer ton retour, je t’avoue, fils de roi, que je n’osais m’en flatter, et je suis ordinairement si malheureuse dans les choses que je souhaite, que celle-ci me surprend. » Le prince reconnaissant lui fit mille caresses ; il lui conta le succès de son voyage, qu’elle savait peut-être mieux que lui, et que le roi voulait une pièce de toile qui pût passer par le trou d’une aiguille ; qu’à la vérité il croyait la chose impossible, mais qu’il n’avait pas laissé de la tenter, se promettant tout de son amitié et de son secours. Chatte-Blanche, prenant un air plus sérieux, lui dit que c’était une affaire à laquelle il fallait penser, que par bonheur elle avait dans son château des chattes qui filaient fort bien, qu’elle-même y mettrait la griffe et qu’elle avancerait cette besogne ; qu’ainsi il pouvait demeurer tranquille, sans aller bien loin chercher ce qu’il trouverait plus aisément chez elle, qu’en aucun lieu du monde.

Les mains parurent, elles portaient des flambeaux, et le prince, les suivant avec Chatte-Blanche, entra dans une magnifique galerie qui régnait le long d’une grande rivière sur laquelle on tira un feu d’artifice surprenant. L’on y devait brûler quatre chats, dont le procès était fait dans toutes les formes. Ils étaient accusés d’avoir mangé le rôti du souper de Chatte-Blanche, son fromage et son lait, d’avoir même conspiré contre sa personne, avec Martafax et l’Ermite, fameux rats de la contrée, et tenus pour tels par La Fontaine, auteur très véridique ; mais avec tout cela l’on savait qu’il y avait beaucoup de cabale dans cette affaire, et que la plupart des témoins étaient subornés. Quoi qu’il en soit, le prince obtint leur grâce. Le feu d’artifice ne fit mal à personne, et l’on n’a encore jamais vu de si belles fusées.

L’on servit ensuite un médianoche très propre, qui causa plus de plaisir au prince que le feu ; car il avait grand’faim, et son cheval de bois l’avait mené si vite, qu’il n’a jamais été de diligence pareille. Les jours suivants se passèrent comme ceux qui les avaient précédés, avec mille fêtes différentes, dont l’ingénieuse Chatte-Blanche régalait son hôte. C’est peut-être le premier mortel qui se soit si bien diverti avec des chats sans avoir d’autre compagnie.

Il est vrai que Chatte-Blanche avait l’esprit agréable, liant, et presque universel. Elle était plus savante qu’il n’est permis à une chatte de l’être.

Le prince s’en étonnait quelquefois : « Non, lui disait-il, ce n’est point une chose naturelle que tout ce que je remarque de merveilleux en vous. Si vous m’aimez, charmante Minette, apprenez-moi par quel prodige vous pensez et vous parlez si juste, qu’on pourrait vous recevoir dans les Académies fameuses des plus beaux esprits. — Cesse tes questions, fils de roi, lui disait-elle, il ne m’est pas permis d’y répondre, et tu peux pousser tes conjectures aussi loin que tu voudras, sans que je m’y oppose ; qu’il te suffise que j’ai toujours pour toi patte de velours et que je m’intéresse tendrement dans tout ce qui te regarde. »

Insensiblement cette seconde année s’écoula comme la première, le prince ne souhaitait guère de chose que les mains diligentes ne lui apportassent sur-le-champ, soit des livres, des pierreries, des tableaux, des médailles antiques ; enfin il n’avait qu’à dire : Je veux un tel bijou, qui est dans le cabinet du Mogol ou du roi de Perse, telle statue de Corinthe, ou de Grèce,  il voyait aussitôt devant lui ce qu’il désirait, sans savoir ni qui l’avait apporté, ni d’où il venait. Cela ne laisse pas d’avoir ses agréments ; et pour se délasser, l’on est quelquefois bien aise de se voir maître des plus beaux trésors de la terre.

Chatte-Blanche, qui veillait toujours aux intérêts du prince, l’avertit que le temps de son départ approchait, qu’il pouvait se tranquilliser sur la pièce de toile qu’il désirait et qu’elle lui en avait fait une merveilleuse ; elle ajouta qu’elle voulait cette fois-ci lui donner un équipage digne de sa naissance, et sans attendre sa réponse, elle l’obligea de regarder dans la grande cour du château. Il y avait une calèche découverte, d’or émaillé de couleur de feu, avec mille devises galantes qui satisfaisaient autant l’esprit que les yeux. Douze chevaux blancs comme la neige, attachés quatre à quatre de front, la traînaient, chargés de harnais de velours couleur de feu en broderie de diamants et garnis de plaques d’or. La doublure de la calèche était pareille, et cent carrosses à huit chevaux, tous remplis de seigneurs de grande apparence très superbement vêtus, suivaient cette calèche. Elle était encore accompagnée par mille gardes du corps, dont les habits étaient si couverts de broderie, que l’on n’apercevait point l’étoffe ; ce qui est de singulier, c’est qu’on voyait partout le portrait de Chatte-Blanche, soit dans les devises de la calèche, ou sur les habits des gardes du corps, ou atta-