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LA CHATTE BLANCHE.

du tout aux endroits où la lumière des escarboucles ne pouvait s’étendre.

Il revint à la porte d’or ; il vit un pied de chevreuil attaché à une chaîne toute de diamants ; il admira cette magnificence et la sécurité avec laquelle on vivait dans le château. « Car enfin, disait-il, qui empêche les voleurs de venir couper cette chaîne, et d’arracher les escarboucles ? ils se feraient riches pour toujours. »

Il tira le pied de chevreuil, et aussitôt il entendit sonner une cloche qui lui parut d’or ou d’argent, par le son qu’elle rendait ; au bout d’un moment la porte fut ouverte, sans qu’il aperçût autre chose qu’une douzaine de mains en l’air, qui tenaient chacune un flambeau. Il demeura si surpris qu’il hésitait à s’avancer, quand il sentit d’autres mains qui le poussaient par derrière avec assez de violence. Il marcha donc fort inquiet et à tout hasard, il porta la main sur la garde de son épée. Mais, entrant dans un vestibule tout incrusté de porphyre et de lapis, il entendit deux voix ravissantes qui chantèrent ces paroles :

Des mains que vous voyez, ne prenez point d’ombrage,
Et ne craignez en ce séjour
Que les charmes d’un beau visage,
Si votre cœur veut fuir l’amour.


Il ne put croire qu’on l’invitât de si bonne grâce pour lui faire ensuite du mal ; de sorte que, se sentant poussé vers une grande porte de corail, qui s’ouvrit dès qu’il s’en fut approché, il entra dans un salon de nacre et de perles, et ensuite dans plusieurs chambres ornées différemment et si riches par les peintures et les pierreries qu’il en était comme enchanté. Mille et mille lumières, attachées depuis la voûte du salon jusqu’en bas, éclairaient une partie des autres appartements qui ne laissaient pas d’être remplis de lustres, de girandoles, et de gradins couverts de bougies ; enfin la magnificence était telle qu’il n’était pas aisé de croire que ce fût une chose possible.

Après avoir passé dans soixante chambres, les mains qui le conduisaient l’arrêtèrent ; il vit un grand fauteuil de commodité qui s’approcha tout seul de la cheminée. En même temps le feu s’alluma, et les mains, qui lui semblaient fort belles, blanches, petites, grassettes, et bien proportionnées, le déshabillèrent, car il était mouillé, comme je l’ai déjà dit, et l’on avait peur qu’il ne s’enrhumât. On lui présenta, sans qu’il vît personne, une chemise aussi belle que pour un jour de noces, avec une robe de chambre d’une étoffe glacée d’or, brodée de petites émeraudes qui formaient des chiffres. Les mains sans corps approchèrent de lui une table sur laquelle sa toilette fut mise. Rien n’était plus magnifique ; elles le peignèrent avec une légèreté et une adresse dont il fut fort content. Ensuite on le rhabilla, mais ce ne fut pas avec ses habits, on lui en apporta de beaucoup plus riches. Il admirait silencieusement tout ce qui se passait, et quelquefois il lui prenait de petits mouvements de frayeur, dont il n’était pas tout à fait le maître.

Après qu’on l’eût poudré, frisé, parfumé, paré, ajusté et rendu plus beau qu’Adonis, les mains le conduisirent dans une salle superbe par ses dorures et ses meubles. On voyait autour l’histoire des plus fameux chats : Rodilardus pendu par les pieds au conseil des rats, Chat botté, marquis de Carabas, le Chat qui écrit, la Chatte devenue femme, les Sorciers devenus chats, le Sabbat et toutes ses cérémonies ; enfin rien n’était plus singulier que ces tableaux.

Le couvert était mis ; il y en avait deux, chacun garni de son cadenas d’or ; le buffet surprenait par la quantité de vases de cristal de roche et de mille pierres rares. Le prince ne savait pour qui ces deux couverts étaient mis, lorsqu’il vit des chats qui se placèrent dans un petit orchestre ménagé exprès ; l’un tenait un livre avec des notes les plus extraordinaires du monde, l’autre un rouleau de papier dont il battait la mesure, et les autres avaient de petits guitares. Tout à coup chacun d’eux se mit à miauler sur différents tons et à gratter les cordes des guitares avec leurs ongles ; c’était la plus étrange musique que l’on ait jamais entendue. Le prince se serait cru en enfer s’il n’avait pas trouvé ce palais trop merveilleux pour donner dans une pensée si peu vraisemblable ; mais il se bouchait les oreilles et riait de toute sa force de voir les différentes postures et les grimaces de ces nouveaux musiciens.

Il rêvait aux différentes choses qui lui étaient déjà arrivées dans ce château, lorsqu’il vit entrer une petite figure qui n’avait pas une coudée de haut. Cette bamboche se couvrait d’un long voile de crêpe noir. Deux chats la menaient ; ils étaient vêtus de deuil, en manteau et l’épée au côté ; un nombreux cortège de chats venait après ; les uns portaient des ratières pleines de rats, et les autres des souris dans des cages.

Le prince ne sortait point d’étonnement ; il ne savait que penser. La figurine noire s’approcha ; et, levant son voile, il aperçut la plus belle petite chatte blanche qui ait jamais été et qui sera jamais. Elle avait l’air fort jeune et fort triste ; elle se mit à faire un miaulis si doux et si charmant qu’il allait droit au cœur ; elle dit au prince : « Fils de roi, sois le bienvenu, ma miaularde majesté te voit avec plaisir. — Madame la chatte, dit le prince, vous êtes bien généreuse de me recevoir avec tant d’accueil. Mais vous ne me paraissez pas une bestiole ordinaire ; le don que vous avez de la parole et le superbe château que vous possédez en sont des preuves assez évidentes. — Fils de roi, reprit Chatte-Blanche, je te prie, cesse de me faire des compliments ; je suis simple dans mes discours et dans mes manières, mais j’ai un bon cœur. Allons, continua-t-elle, que l’on serve et que les musiciens se taisent ; car le prince n’entend pas ce qu’ils disent. — Et disent-ils quel-