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LA BICHE AU BOIS.

qui étaient dans le chariot et qui se cachaient le visage de leurs mains ; elle eut la générosité de demander leur grâce, et que le même chariot où elles étaient servît à les conduire où elles voudraient aller. Le roi consentit à ce qu’elle souhaitait, ce ne fut pas sans admirer son bon cœur, et sans lui donner de grandes louanges.

On ordonna que l’armée retournerait sur ses pas. Le prince monta à cheval pour accompagner sa belle princesse. On les reçut dans la ville capitale avec mille cris de joie ; l’on prépara tout pour le jour des noces, qui devint très solennel par la présence des six bénignes fées qui aimaient la princesse. Elles lui firent les plus riches présents qui se soient jamais imaginés ; entre autres ce magnifique palais, où la reine les avait été voir, parut tout d’un coup en l’air, porté par cinquante mille amours, qui le posèrent dans une belle plaine au bord de la rivière. Après un tel don, il ne s’en pouvait plus faire de considérables.

Le fidèle Becafigue pria son maître de parler à Giroflée et de l’unir avec elle lorsqu’il épouserait la princesse. Il le voulut bien. Cette aimable fille fut très aise de trouver un établissement si avantageux en arrivant dans un royaume étranger. La fée Tulipe, qui était encore plus libérale que ses sœurs, lui donna quatre mines d’or dans les Indes, afin que son mari n’eût pas l’avantage de se dire plus riche qu’elle. Les noces du prince durèrent plusieurs mois ; chaque jour fournissait une fête nouvelle, et les aventures de Biche-Blanche ont été chantées par tout le monde.


moralité


La princesse trop empressée
De sortir de ces sombres lieux
Où voulait une sage fée
Lui cacher la clarté des cieux ;
Ses malheurs, sa métamorphose
Font assez voir en quel danger
Une jeune beauté s’expose
Quand trop tôt dans le monde elle ose s’engager !
Ô vous à qui l’amour, d’une main libérale,
A donné des attraits capables de toucher,
La beauté souvent est fatale,
Vous ne sauriez trop la cacher.
Vous croyez toujours vous défendre,
En vous faisant aimer, de ressentir l’amour :
Mais sachez qu’à son tour ;
À force d’en donner, on peut souvent en prendre.