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LA BICHE AU BOIS.

La reine, transportée de joie, se jeta à leur cou, et les embrassades durèrent plus d’une grosse demi-heure. Après cela elles prièrent la reine d’entrer dans leur palais, dont on ne peut faire une assez belle description. Elles avaient pris pour le bâtir l’architecte du soleil : il avait fait en petit ce que celui du soleil est en grand. La reine, qui n’en soutenait l’éclat qu’avec peine, fermait à tout moment les yeux. Elles la conduisirent dans leur jardin. Il n’a jamais été de si beaux fruits ; les abricots étaient plus gros que la tête, et l’on ne pouvait manger une cerise sans la couper en quatre ; d’un goût si exquis qu’après que la reine en eut mangé elle ne voulut de sa vie en manger d’autres. Il y avait un verger tout d’arbres factices qui ne laissaient pas d’avoir vie et de croître comme les autres.

De dire tous les transports de la reine, combien elle parla de la petite princesse Désirée, combien elle remercia les aimables personnes qui lui annonçaient une si agréable nouvelle, c’est ce que je n’entreprendrai point ; mais enfin il n’y eut aucun terme de tendresse et de reconnaissance oublié. La fée de la Fontaine y trouva toute la part qu’elle méritait. La reine demeura jusqu’au soir dans le palais. Elle aimait la musique : on lui fit entendre des voix qui lui parurent célestes. On la chargea de présents, et, après avoir remercié ces grandes dames, elle revint avec la fée de la Fontaine.

Toute sa maison était très en peine d’elle : on la cherchait avec beaucoup d’inquiétude, on ne pouvait imaginer en quel lieu elle était : ils craignaient même que quelques étrangers audacieux ne l’eussent enlevée, car elle avait de la beauté et de la jeunesse ; de sorte que chacun témoigna une joie extrême de son retour ; et comme elle ressentait de son côté une satisfaction infinie des bonnes espérances qu’on venait de lui donner, elle avait une conversation agréable et brillante qui charmait tout le monde.

La fée de la Fontaine la quitta proche de chez elle ; les compliments et les caresses redoublèrent à leur séparation, et la reine, étant restée encore huit jours aux eaux ne manqua point de retourner au palais des fées avec sa coquette vieille, qui paraissait d’abord en écrevisse, et puis qui prenait sa forme naturelle.

La reine partit ; elle devint grosse et mit au monde une princesse qu’elle appela Désirée. Aussitôt elle prit le bouquet qu’elle avait reçu ; elle nomma toutes les fleurs l’une après l’autre, et sur-le-champ elle vit arriver les fées. Chacune avait son chariot de différente manière : l’un était d’ébène, tiré par des pigeons blancs ; d’autres d’ivoire, que de petits corbeaux traînaient ; d’autres encore de cèdre et de canambou. C’était là leur équipage d’alliance et de paix ; car, lorsqu’elles étaient fâchées, ce n’était que des dragons volants, que des couleuvres, qui jetaient le feu par la gueule et par les yeux ; que lions, que léopards, que panthères, sur lesquels elles se transportaient d’un bout du monde à l’autre en moins de temps qu’il n’en faut pour dire bonjour ou bonsoir ; mais, cette fois-ci, elles étaient de la meilleure humeur possible.

La reine les vit entrer dans sa chambre avec un air gai et majestueux ; leurs nains et leurs naines les suivaient tout chargés de présents. Après qu’elles eurent embrassé la reine et baisé la petite princesse, elles déployèrent sa layette, dont la toile était si fine et si bonne qu’on pouvait s’en servir cent ans sans l’user : les fées la filaient à leurs heures de loisir. Pour les dentelles, elles surpassaient encore ce que j’ai dit de la toile ; toute l’histoire du monde y était représentée, soit à l’aiguille ou au fuseau. Après cela elles montrèrent les langes et les couvertures, qu’elles avaient brodés exprès ; l’on y voyait représentés mille jeux différents auxquels les enfants s’amusent. Depuis qu’il y a des brodeurs et des brodeuses il ne s’est rien vu de si merveilleux. Mais quand le berceau parut la reine s’écria d’admiration, car il surpassait encore tout ce qu’elle avait vu jusqu’alors. Il était d’un bois si rare, qu’il coûtait cent mille écus la livre. Quatre petits amours le soutenaient, c’étaient quatre chefs-d’œuvre où l’art avait tellement surpassé la matière, quoiqu’elle fût de diamant ou de rubis, que l’on n’en peut assez parler. Ces petits amours avaient été animés par les fées, de sorte que, lorsque l’enfant criait, ils le berçaient et l’endormaient ; cela était d’une commodité merveilleuse pour les nourrices.

Les fées prirent elles-mêmes la petite princesse sur leurs genoux ; elles l’emmaillotèrent et lui donnèrent plus de cent baisers, car elle était déjà si belle, qu’on ne pouvait la voir sans l’aimer. Elles remarquèrent qu’elle avait besoin de téter ; aussitôt elles frappèrent la terre avec leur baguette, il parut une nourrice telle qu’il la fallait pour cet aimable poupard. Il ne fut plus question que de douer l’enfant : les fées s’empressèrent de le faire. L’une le doua de vertu et l’autre d’esprit ; la troisième d’une beauté miraculeuse ; celle d’après d’une heureuse fortune ; la cinquième lui désira une longue santé, et la dernière, qu’elle fît bien toutes les choses qu’elle entreprendrait.

La reine, ravie, les remerciait mille et mille fois des faveurs qu’elles venaient de faire à la petite princesse, lorsque l’on vit entrer dans la chambre une si grosse écrevisse, que la porte fut à peine assez large pour qu’elle pût passer : « Ah ! trop ingrate reine, dit l’écrevisse, vous n’avez donc pas daigné vous souvenir de moi ? Est-il possible que vous ayez si tôt oublié la fée de la Fontaine, et les bons offices que je vous ai rendus en vous menant chez mes sueurs ? Quoi ! vous les avez toutes appelées, je suis la seule que vous négligez ! Il est certain que j’en avais un pressentiment, et c’est ce qui m’obligea de prendre la figure d’une écrevisse lorsque je vous parlai la première fois, voulant marquer par là que votre amitié au lieu d’avancer reculerait. »

La reine, inconsolable de la faute qu’elle avait faite, l’interrompit, et lui demanda pardon : elle lui dit qu’elle avait