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LA BICHE AU BOIS




I l était une fois un roi et une reine dont l’union était parfaite ; ils s’aimaient tendrement, et leurs sujets les adoraient ; mais il manquait à la satisfaction des uns et des autres, de leur voir un héritier. La reine, qui était persuadée que le roi l’aimerait encore davantage si elle en avait un, ne manquait pas, au printemps, d’aller boire des eaux qui étaient excellentes. L’on y venait en foule ; et le nombre d’étrangers était si grand, qu’il s’en trouvait là de toutes les parties du monde.

Il y avait plusieurs fontaines dans un grand bois où l’on allait boire : elles étaient entourées de marbre et de porphyre, car chacun se piquait de les embellir. Un jour que la reine était assise au bord de la fontaine, elle dit à toutes ses dames de s’éloigner et de la laisser seule ; puis elle commença ses plaintes ordinaires : « Ne suis-je pas bien malheureuse, dit-elle, de n’avoir point d’enfant ! les plus pauvres femmes en ont ; il y a cinq ans que j’en demande au ciel : je n’ai pu encore le toucher ; Mourrai-je sans avoir cette satisfaction ? »

Comme elle parlait ainsi, elle remarqua que l’eau de la fontaine s’agitait ; puis une grosse écrevisse parut et lui dit : « Grande reine, vous aurez enfin ce que vous désirez : je vous avertis qu’il y a ici proche un palais superbe que les fées ont bâti ; mais il est impossible de le trouver, parce qu’il est environné de nuées fort épaisses que l’œil d’une personne mortelle ne peut pénétrer. Cependant, comme je suis votre très humble servante, si vous voulez vous fier à la conduite d’une pauvre écrevisse, je m’offre de vous y mener. »

La reine l’écoutait sans l’interrompre, la nouveauté de voir parler une écrevisse l’ayant fort surprise ; elle lui dit qu’elle accepterait avec plaisir ses offres, sans qu’elle ne savait pas aller en reculant comme elle. L’Écrevisse sourit, et sur-le-champ elle prit la figure d’une belle petite vieille. « Eh bien, madame, lui dit-elle, n’allons pas à reculons, j’y consens ; mais surtout regardez-moi comme une de vos amies, car je ne souhaite que ce qui peut vous être avantageux. »

Elle sortit de la fontaine sans être mouillée. Ses habits étaient blancs, doublés de cramoisi, et ses cheveux gris tout renoués de rubans verts. Il ne s’est guère vu de vieille dont l’air fût plus galant. Elle salua la reine et elle en fut embrassée ; et, sans parler davantage, elle la conduisit dans une route du bois qui surprit cette princesse ; car, encore qu’elle y fût venue mille et mille fois, elle n’était jamais entrée dans celle-là. Comment y serait-elle entrée ? c’était le chemin des fées pour aller à la fontaine. Il était ordinairement fermé de ronces et d’épines ; mais quand la reine et sa conductrice parurent, aussitôt les rosiers poussèrent des roses, les jasmins et les orangers entrelacèrent leurs branches pour faire un berceau couvert de feuilles et de fleurs ; la terre fut couverte de violettes ; mille oiseaux différents chantaient à l’envi sur les arbres.

La reine n’était pas encore revenue de sa surprise lorsque ses yeux furent frappés par l’éclat sans pareil d’un palais tout de diamant ; les murs et les toits, les plafonds, les planchers, les degrés, les balcons, jusqu’aux terrasses, tout était de diamants. Dans l’excès de son admiration, elle ne put s’empêcher de pousser un grand cri, et de demander à la galante vieille qui l’accompagnait si ce qu’elle voyait était un songe ou une réalité. « Rien n’est plus réel, madame, » répliqua-t-elle. Aussitôt les portes du palais s’ouvrirent ; il en sortit six fées, mais quelles fées ! les plus belles et les plus magnifiques qui aient jamais paru dans leur empire. Elles vinrent toutes faire une profonde révérence à la reine, et chacune lui présenta une fleur de pierreries pour lui faire un bouquet ; il y avait une rose, une tulipe, une anémone, une ancolie, un œillet et une grenade. « Madame, lui dirent-elles, nous ne pouvons vous donner une plus grande marque de notre considération qu’en vous permettant de nous venir voir ici ; nous sommes bien aises de vous annoncer que vous aurez une belle princesse, que vous nommerez Désirée ; car l’on doit avouer qu’il y a longtemps que vous la désirez. Ne manquez pas, aussitôt qu’elle sera au monde, de nous appeler, parce que nous voulons la douer de toutes sortes de bonnes qualités. Vous n’aurez qu’à prendre le bouquet que nous vous donnons et nommer chaque fleur en pensant à nous ; soyez certaine qu’aussitôt nous serons dans votre chambre. »