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LE NAIN JAUNE

un prince très puissant et très bien fait, qui l’aimait avec la dernière passion depuis quelques années, et qui, jusqu’alors, n’avait pas eu lieu de se flatter d’aucun retour.

Il est aisé de juger de l’excès de sa joie lorsqu’il apprit de si charmantes nouvelles, et de la fureur de tous ses rivaux, de perdre pour toujours une espérance qui nourrissait leur passion ; mais Toute-Belle ne pouvait pas épouser vingt rois ; elle avait eu bien de la peine d’en choisir un, car sa vanité ne se démentait point, et elle était fort persuadée que personne au monde ne pouvait lui être comparable.

L’on prépara toutes les choses nécessaires pour la plus grande fête de l’univers : le roi des Mines-d’Or fit venir des sommes si prodigieuses que toute la mer était couverte des navires qui les apportaient ; l’on envoya dans les cours les plus polies et les plus galantes, et particulièrement à celle de France, pour avoir ce qu’il y avait de plus rare, afin de parer la princesse ; elle avait moins besoin qu’une autre des ajustements qui relèvent la beauté ; la sienne était si parfaite, qu’il ne s’y pouvait rien ajouter, et le roi des Mines-d’Or, se voyant sur le point d’être heureux, ne quittait plus cette charmante princesse.

L’intérêt qu’elle avait à le connaître l’obligea de l’étudier avec soin ; elle lui découvrit tant de mérite, tant d’esprit, des sentiments si vifs et si délicats, enfin une si belle âme dans un corps si parfait, qu’elle commença de ressentir pour lui une partie de ce qu’il ressentait pour elle. Quels heureux moments pour l’un et pour l’autre, lorsque, dans les plus beaux jardins du monde, ils se trouvaient en liberté de se découvrir toute leur tendresse ! ces plaisirs étaient souvent secondés par ceux de la musique. Le roi, toujours galant et amoureux, faisait des vers et des chansons pour la princesse : en voici une qu’elle trouva fort agréable.


Ces bois, en vous voyant, sont parés de feuillages.
Et ces prés font briller leurs charmantes couleurs.
Le zéphir sous vos pas fait éclore les fleurs,
Les oiseaux amoureux redoublent leurs ramages ;
Dans ce charmant séjour
Tout rit, tout reconnaît la fille de l’Amour.


L’on était au comble de la joie ; les rivaux du roi, désespérés de sa bonne fortune, avaient quitté la cour ; ils étaient retournés chez eux accablés de la plus vive douleur, ne pouvant être témoins du mariage de Toute-Belle ; ils lui dirent adieu d’une manière si touchante, qu’elle ne put s’empêcher de les plaindre. « Ah ! madame, lui dit le roi des Mines-d’Or, quel larcin me faites-vous aujourd’hui ! Vous accordez votre pitié à des amants qui sont trop payés de leurs peines par un seul de vos regards. — Je serais fâchée, répliqua Toute-Belle, que vous fussiez insensible à la compassion que j’ai témoignée aux princes qui me perdent pour toujours : c’est une preuve de votre délicatesse dont je vous tiens compte ; mais, seigneur, leur état est si différent du vôtre ! vous devez être si content de moi ! ils ont si peu de sujet de s’en louer, que vous ne devez pas pousser plus loin votre jalousie. » Le roi des Mines-d’Or, tout confus de la manière obligeante dont la princesse prenait une chose qui pouvait la chagriner, se jeta à ses pieds, et lui baisant les mains, il lui demanda mille fois pardon.

Enfin, ce jour tant attendu et tant souhaité arriva : tout étant prêt pour les noces de Toute-Belle, les instruments et les trompettes annoncèrent par toute la ville cette grande fête ; l’on tapissa les rues, elles furent jonchées de fleurs, le peuple en foule accourut dans la grande place du palais ; la reine ravie, s’était à peine couchée, et elle se leva plus matin que l’aurore, pour donner les ordres nécessaires et pour choisir les pierreries dont la princesse devait être parée ; ce n’était que diamants jusqu’à ses souliers ; ils en étaient faits ; sa robe, de brocart d’argent, était chamarrée d’une douzaine de rayons du soleil que l’on avait achetés bien cher ; mais aussi rien n’était plus brillant, et il n’y avait que la beauté de cette princesse qui pût être plus éclatante ; une riche couronne ornait sa tête, ses cheveux flottaient jusqu’à ses pieds, et la majesté de sa taille se faisait distinguer au milieu de toutes les dames qui l’accompagnaient. Le roi des Mines-d’Or n’était pas moins accompli ni moins magnifique : sa joie paraissait sur son visage et dans toutes ses actions ; personne ne l’abordait qui ne s’en retournât chargé de ses libéralités ; car il avait fait arranger autour de sa salle des festins, mille tonneaux remplis d’or, et de grands sacs de velours en broderie de perles, que l’on remplissait de pistoles ; chacun en pouvait tenir cent mille, on les donnait indifféremment à ceux qui tendaient la main ; de sorte que cette petite cérémonie, qui n’était pas une des moins utiles et des moins agréables de la noce, y attira beaucoup de personnes qui étaient peu sensibles à tous les autres plaisirs.

La reine et la princesse s’avançaient pour sortir avec le roi, lorsqu’elles virent entrer, dans une longue galerie où elles étaient, deux gros coqs d’Inde qui traînaient une boîte fort mal faite ; il venait derrière eux une grande vieille dont l’âge avancé et la décrépitude ne surprirent pas moins que son extrême laideur ; elle s’appuyait sur une béquille ; elle avait une fraise de taffetas noir, un chaperon de velours rouge, un vertugadin en guenille ; elle fit trois tours avec les coqs d’Inde, sans dire une parole, puis, s’arrêtant au milieu de la galerie et branlant sa béquille d’une manière menaçante : « Oh ! oh ! reine ! oh ! princesse ! s’écria-t-elle, vous prétendez donc fausser impunément la parole que vous avez donnée à mon ami le Nain jaune ; je suis la fée du Désert ; sans lui, sans son oranger, ne savez-vous pas que mes grands lions vous auraient dévorées ? L’on ne souffre pas, dans le royaume de féerie, de telles insultes ; songez promptement à ce que vous voulez faire,