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LE NAIN JAUNE

menaçait d’une grande guerre. Toute-Belle voyait bien que ses réponses étaient plausibles, mais que dans le fond il y avait autre chose, et que la reine s’étudiait à le lui cacher. N’étant plus maîtresse de son inquiétude, elle prit la résolution d’aller trouver la fameuse fée du Désert, dont le savoir faisait grand bruit partout ; elle avait aussi envie de lui demander son conseil pour demeurer fille ou pour se marier, car tout le monde la pressait fortement de choisir un époux : elle prit soin de pétrir elle-même le gâteau qui pouvait apaiser la fureur des lions, et, faisant semblant de se coucher le soir de bonne heure, elle sortit par un petit degré dérobé, le visage couvert d’un grand voile blanc qui tombait jusqu’à ses pieds, et ainsi seule elle s’achemina vers la grotte où demeurait cette habile fée.

Mais, en arrivant à l’oranger fatal dont j’ai déjà parlé, elle le vit si couvert de fruits et de fleurs, qu’il lui prit envie d’en cueillir ; elle posa sa corbeille par terre, et prit des oranges qu’elle mangea : quand il fut question de retrouver sa corbeille et son gâteau, il n’y avait plus rien ; elle s’inquiète, elle s’afflige, et voit tout d’un coup auprès d’elle l’affreux petit nain dont j’ai déjà parlé. « Qu’avez-vous, la belle fille, qu’avez-vous à pleurer ? lui dit-il. — Hélas ! qui ne pleurerait ? répondit-elle ; j’ai perdu mon panier et mon gâteau, qui m’étaient si nécessaires pour arriver à bon port chez la fée du Désert. — Eh ! que lui voulez-vous, belle fille ? dit ce petit magot ; je suis son parent, son ami, et pour le moins aussi habile qu’elle ? — La reine ma mère, répliqua la princesse, est tombée depuis quelque temps dans une affreuse tristesse qui me fait tout craindre pour sa vie ; j’ai dans l’esprit que j’en suis peut-être la cause, car elle souhaite de me marier ; je vous avoue que je n’ai encore rien trouvé digne de moi ; toutes ces raisons m’engagent à vouloir parler à la fée. — N’en prenez point la peine, princesse, lui dit le nain, je suis plus propre qu’elle à vous éclairer sur ces choses.

« La reine votre mère a du chagrin de vous avoir promise en mariage. — La reine m’a promise ! dit-elle en l’interrompant. Ah ! sans doute, vous vous trompez ; elle me l’aurait dit, et j’y ai trop d’intérêt pour qu’elle m’engage sans mon consentement. — Belle princesse, lui dit le nain en se jetant tout d’un coup à ses genoux, je me flatte que ce choix ne vous déplaira point, quand je vous aurai dit que c’est moi qui suis destiné à ce bonheur. — Ma mère vous veut pour son gendre, s’écria Toute-Belle en reculant quelques pas ; est-il une folie semblable à la vôtre ? — Je me soucie fort peu, dit le nain en colère, de cet honneur : voici les lions qui s’approchent, en trois coups de dents ils m’auront vengé de votre injuste mépris. »

En même temps la pauvre princesse les entendit qui venaient avec de longs hurlements. « Que vais-je devenir ? s’écria-t-elle. Quoi, je finirai donc ainsi mes beaux jours ! » Le méchant nain la regardait, et riant dédaigneusement : « Vous aurez au moins la gloire de mourir fille, lui dit-il, et de ne pas mésallier votre éclatant mérite avec un misérable nain tel que moi. — De grâce, ne vous fâchez pas, lui dit la princesse en joignant ses belles mains, j’aimerais mieux épouser tous les nains de l’univers, que de périr d’une manière si affreuse. — Regardez-moi bien, princesse, avant que de me donner votre parole, répliqua-t-il, car je ne prétends pas vous surprendre. — Je vous ai regardé de reste, lui dit-elle, les lions approchent, ma frayeur augmente ; sauvez-moi, sauvez-moi ! ou la peur me fera mourir. »


Je me soucie fort peu, dit le nain en colère, de cet honneur… (p. 41)

Effectivement elle n’avait pas achevé ces mots qu’elle tomba évanouie ; et, sans savoir comment, elle se trouva dans son lit avec le plus beau linge du monde, les plus beaux rubans, et une petite bague faite d’un seul cheveu roux, qui tenait si fort, qu’elle se serait plutôt arraché la peau, qu’elle ne l’aurait ôtée de son doigt.

Quand la princesse vit toutes ces choses, et qu’elle se souvint de ce qui s’était passé la nuit, elle tomba dans une mélancolie qui surprit et qui inquiéta toute la cour ; la reine en fut plus alarmée que personne ; elle lui demanda cent et cent fois ce qu’elle avait : elle s’opiniâtra à lui cacher son aventure. Enfin, les états du royaume, impatients de voir leur princesse mariée, s’assemblèrent et vinrent ensuite trouver la reine pour la prier de lui choisir au plus tôt un époux. Elle répliqua qu’elle ne demandait pas mieux, mais que sa fille y témoignait tant de répugnance, qu’elle leur conseillait de l’aller trouver et de la haranguer : ils y furent sur-le-champ. Toute-Belle avait bien rabattu de sa fierté depuis son aventure avec le Nain jaune ; elle ne comprenait pas de meilleur moyen, pour se tirer d’affaire que de se marier à quelque grand roi, contre lequel ce petit magot ne serait pas en état de disputer une conquête si glorieuse. Elle répondit donc plus favorablement que l’on ne l’avait espéré, qu’encore qu’elle se fût estimée heureuse de rester fille toute sa vie, elle consentirait à épouser le roi des Mines-d’Or : c’était