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FINETTE CENDRON.

m’en arrive toutes sortes de disgrâces : mes sœurs m’ont volé mes riches habits, ils servent à les parer ; sans moi, l’ogre et sa femme se porteraient encore bien : de quoi me profite de les avoir fait mourir ? n’aimerais-je pas autant qu’ils m’eussent mangée que de vivre comme je vis ? » Quand elle avait dit cela, elle pleurait à étouffer, puis ses sœurs arrivaient chargées d’oranges de Portugal, de confitures, de sucre, et elles lui disaient : « Ah ! que nous venons d’un beau bal ! Qu’il y avait de monde ! le fils du roi y dansait ; l’on nous a fait mille honneurs : allons, viens nous déchausser et nous décrotter, car c’est là ton métier. » Finette obéissait ; et si par hasard elle voulait dire un mot pour se plaindre, elles se jetaient sur elle, et la battaient à la laisser pour morte.

Le lendemain encore elles retournaient et revenaient conter des merveilles. Un soir que Finette était assise proche du feu sur un monceau de cendres, ne sachant que faire, elle cherchait dans les fentes de la cheminée ; et, cherchant ainsi, elle trouva une petite clé si vieille et si crasseuse, qu’elle eut toutes les peines du monde à la nettoyer. Quand elle fut claire, elle connut qu’elle était d’or, et pensa qu’une clé d’or devait ouvrir un beau petit coffre ; elle se mit aussitôt à courir par toute la maison, essayant la clé aux serrures ; et enfin elle trouva une cassette qui était un chef-d’œuvre. Elle l’ouvrit : il y avait dedans des habits, des diamants, des dentelles, du linge, des rubans pour des sommes immenses : elle ne dit mot de sa bonne fortune, mais elle attendit impatiemment que ses sœurs sortissent le lendemain. Dès qu’elle ne les vit plus, elle se para, de sorte qu’elle était plus belle que le soleil et la lune.

Ainsi ajustée, elle fut au même bal où ses sœurs dansaient, et, quoiqu’elle n’eût point de masque, elle était si changée en mieux, qu’elles ne la reconnurent pas. Dès qu’elle parut dans l’assemblée, il s’éleva un murmure de voix, les unes d’admiration et les autres de jalousie. On la prit pour danser ; elle surpassa toutes les dames à la danse, comme elle les surpassait en beauté. La maîtresse du logis vint à elle, et lui ayant fait une profonde révérence, elle la pria de lui dire comment elle s’appelait, afin de ne jamais oublier le nom d’une personne si merveilleuse ; elle lui répondit civilement qu’on la nommait Cendron. Il n’y eut point d’amant qui ne fût infidèle à sa maîtresse pour Cendron, point de poète qui ne rimât en Cendron ; jamais petit nom ne fit tant de bruit en si peu de temps, les échos ne répétaient que les louanges de Cendron ; l’on n’avait pas assez d’yeux pour la regarder, assez de bouche pour la louer.

Fleur-d’Amour et Belle-de-Nuit, qui avaient fait d’abord grand fracas dans les lieux où elles avaient paru, voyant l’accueil que l’on faisait à cette nouvelle venue, en crevaient de dépit ; mais Finette se démêlait de tout cela de la meilleure grâce du monde, il semblait, à son air, qu’elle n’était faite que pour commander. Fleur-d’Amour et Belle-de-Nuit qui ne voyaient leur sœur qu’avec de la suie de cheminée sur le visage, et plus barbouillée qu’un petit chien, avaient si fort perdu l’idée de sa beauté, qu’elles ne la reconnurent point du tout ; elles faisaient leur cour à Cendron comme les autres. Dès qu’elle voyait le bal prêt à finir, elle sortait vite, revenait à la maison, se déshabillait en diligence, reprenait ses guenilles ; et quand ses sœurs arrivaient : « Ah ! Finette ! nous venons de voir, lui disaient-elles, une jeune princesse qui est toute charmante ; ce n’est pas une guenuche comme toi ; elle est blanche comme la neige, plus vermeille que les roses, ses dents sont de perles, ses lèvres de corail ; elle a une robe qui pèse plus de mille livres, ce n’est qu’or et diamants : qu’elle est belle, qu’elle est aimable ! » Finette répondait entre ses dents : « Ainsi j’étais, ainsi j’étais. — Qu’est-ce que tu bourdonnes ? », disaient-elles. Finette répliquait encore plus bas : « Ainsi j’étais ! » Ce petit jeu dura longtemps ; il n’y eut presque pas de jour que Finette ne changeât d’habits, car la cassette était fée, et plus on y en prenait, plus il en revenait, et si fort à la mode, que les dames ne s’habillaient que sur son modèle.

Un soir que Finette avait plus dansé qu’à l’ordinaire, et qu’elle avait tardé assez tard à se retirer, voulant réparer le temps perdu et arriver chez elle un peu avant ses sœurs, en marchant de toute sa force, elle laissa tomber une de ses mules, qui était de velours rouge, toute brodée de perles. Elle fit son possible pour la retrouver dans le chemin, mais le temps était si noir, qu’elle prit une peine inutile : elle rentra au logis, un pied chaussé et l’autre nu.


…Et après l’avoir considéré trois jours et trois nuits… (p. 37)

Le lendemain le prince Chéri, fils aîné du roi, allant à la chasse, trouve la mule de Finette ; il la fait ramasser, la regarde, en admire la petitesse et la gentillesse, la tourne, la retourne, la baise, la chérit et l’emporte avec lui. Depuis ce jour-là, il ne mangeait plus ; il devenait maigre et changé, jaune comme un coing, triste, abattu. Le roi et