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FINETTE CENDRON.

elle ne songeait qu’au chêne qui devenait le plus beau de tous les chênes.


Fleur-d’Amour monta sur l’arbre (p. 34)

Une fois qu’elle y monta et que ses sœurs, selon leur coutume, lui demandèrent si elle ne découvrait rien, elle s’écria : « Je découvre une grande maison, si belle, si belle que je ne saurais assez le dire ; les murs en sont d’émeraudes et de rubis, le toit de diamants : elle est toute couverte de sonnettes d’or, les girouettes vont et viennent comme le vent. — Tu mens, disaient-elles, cela n’est pas si beau que tu le dis. — Croyez-moi, répondit Finette, je ne suis pas menteuse ; venez-y plutôt voir vous-mêmes, j’en ai les yeux tout éblouis. » Fleur-d’Amour monta sur l’arbre : quand elle eut vu le château, elle ne s’en pouvait taire. Belle-de-Nuit, qui était fort curieuse, ne manqua pas de monter à son tour, elle demeura aussi ravie que ses sœurs. « Certainement, dirent-elles, il faut aller à ce palais, peut-être que nous y trouverons de beaux princes qui seront trop heureux de nous épouser. » Tant que la soirée fut longue, elles ne parlèrent que de leur dessein, elles se couchèrent sur l’herbe ; mais lorsque Finette leur parut fort endormie, Fleur-d’Amour dit à Belle-de-Nuit : « Savez-vous ce qu’il faut faire, ma sœur ? levons-nous et nous habillons des riches habits que Finette a apportés. — Vous avez raison, » dit Belle-de-Nuit. Elles se levèrent donc, se frisèrent, se poudrèrent, puis elles mirent des mouches, et les belles robes d’or et d’argent toutes couvertes de diamants ; il n’a jamais été rien de si magnifique.

Finette ignorait le vol que ses méchantes sœurs lui avaient fait ; elle prit son sac dans le dessein de s’habiller, mais elle demeura bien affligée de ne trouver que des cailloux ; elle aperçut en même temps ses sœurs qui s’étaient accommodées comme des soleils. Elle pleura et se plaignit de la trahison qu’elles lui avaient faite, et elles d’en rire et de se moquer. « Est-il possible, leur dit-elle, que vous ayez le courage de me mener au château sans me parer et me faire belle ? — Nous n’en avons pas trop pour nous, répliqua Fleur-d’Amour ; tu n’auras que des coups si tu nous importunes. — Mais, continua-t-elle, ces habits que vous portez sont à moi ; ma marraine me les a donnés, ils ne vous doivent rien. — Si tu parles davantage, dirent-elles, nous allons t’assommer, et nous t’enterrerons sans que personne le sache. » La pauvre Finette n’eut garde de les agacer ; elle les suivait doucement et marchait un peu derrière, ne pouvant passer que pour leur servante.

Plus elles approchaient de la maison, plus elle leur semblait merveilleuse. « Ah ! disaient Fleur-d’Amour et Belle-de-Nuit, que nous allons nous bien divertir ! que nous ferons bonne chère ! nous mangerons à la table du roi ; mais pour Finette elle lavera les écuelles dans la cuisine, car elle est faite comme une souillon, et si l’on demande qui elle est, gardons-nous bien de l’appeler notre sœur : il faudra dire que c’est la petite vachère du village. » Finette qui était pleine d’esprit et de beauté, se désespérait d’être si maltraitée. Quand elles furent à la porte du château, elles frappèrent : aussitôt une vieille femme épouvantable leur vint ouvrir, elle n’avait qu’un œil au milieu du front, mais il était plus grand que cinq ou six autres, le nez plat, le teint noir et la bouche si horrible, qu’elle faisait peur ; elle avait quinze pieds de haut et trente de tour. « Ô malheureuses ! qui vous amène ici ? leur dit-elle. Ignorez-vous que c’est le château de l’ogre, et qu’à peine pouvez-vous suffire pour son déjeuner ? mais je suis meilleure que mon mari ; entrez, je ne vous mangerai pas tout d’un coup, vous aurez la consolation de vivre deux ou trois jours davantage. » Quand elles entendirent l’ogresse parler ainsi, elles s’enfuirent, croyant se pouvoir sauver, mais une seule de ses enjambées en valait cinquante des leurs ; elle courut après et les reprit, les unes par les cheveux, les autres par la peau du cou ; et, les mettant sous son bras, elle les jeta toutes trois dans la cave qui était pleine de crapauds et de couleuvres et l’on ne marchait que sur les os de ceux qu’ils avaient mangés.

Comme elle voulait croquer sur-le-champ Finette, elle fut quérir du vinaigre, de l’huile et du sel pour la manger en salade ; mais elle entendit venir l’ogre, et trouvant que les princesses avaient la peau blanche et délicate, elle résolut de les manger toute seule, et les mit promptement sous une grande cuve où elles ne voyaient que par un trou.

L’ogre était six fois plus haut que sa femme ; quand il parlait, la maison tremblait, et quand il toussait, il semblait des éclats de tonnerre ; il n’avait qu’un grand vilain œil, ses cheveux étaient tout hérissés, il s’appuyait sur