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FINETTE CENDRON.

moments, il la rendit à la porte de la maisonnette de Leurs Majestés. Finette dit au cheval : « Mon petit ami, vous êtes beau et très sage, vous allez plus vite que le soleil, je vous remercie de votre peine ; retournez d’où vous venez. » Elle entra tout doucement dans la maison, cachant son sac sous son chevet ; elle se coucha sans faire semblant de rien. Dès que le jour parut, le roi réveilla sa femme : « Allons, allons, madame, lui dit-il, apprêtez-vous pour le voyage. » Aussitôt elle se leva, prit ses gros souliers, une jupe courte, une camisole blanche et un bâton ; elle fit venir l’aînée de ses filles, qui s’appelait Fleur-d’Amour ; la seconde Belle-de-Nuit, et la troisième Fine-Oreille : c’est pourquoi on la nommait ordinairement Finette. « J’ai rêvé cette nuit, dit la reine, qu’il faut que nous allions voir ma sœur, elle nous régalera bien : nous mangerons et nous rirons tant que nous voudrons. » Fleur-d’Amour, qui se désespérait d’être dans un désert, dit à sa mère : « Allons, madame, où il vous plaira ; pourvu que je me promène. » Les deux autres en dirent autant ; elles prennent congé du roi, et les voilà toutes quatre en chemin. Elles allèrent si loin, si loin, que Fine-Oreille avait grande peur de n’avoir pas assez de fil, car il y avait près de mille lieues. Elle marchait toujours derrière ses sœurs, passant le fil adroitement dans les buissons.

Quand la reine crut que ses filles ne pourraient plus retrouver le chemin, elle entra dans un grand bois, et leur dit : « Mes petites brebis, dormez ; je ferai comme la bergère qui veille autour de son troupeau, crainte que le loup ne le mange. » Elles se couchèrent sur l’herbe, et s’endormirent. La reine les quitta, croyant ne les revoir jamais ; Finette fermait les yeux, et ne dormait pas. « Si j’étais une méchante fille, disait-elle, je m’en irais tout à l’heure, et je laisserais mourir mes sœurs ici, car elles me battent et m’égratignent jusqu’au sang ; malgré toutes leurs malices, je ne les veux pas abandonner. »

Elle les réveille, et leur conte toute l’histoire. Elles se mettent à pleurer et la prient de les mener avec elle, qu’elles lui donneront leurs belles poupées, leur petit ménage d’argent, leurs autres jouets et leurs bonbons. « Je sais assez que vous n’en ferez rien, dit Finette, mais je n’en serai pas moins bonne sœur. » Et, se levant, elle suivit son fil, et les princesses aussi ; de sorte qu’elles arrivèrent presque aussitôt que la reine.

En s’arrêtant à la porte, elles entendirent que le roi disait : « J’ai le cœur tout saisi de vous voir revenir seule. — Bon, dit la reine, nous étions trop embarrassés de nos filles. — Encore, dit le roi, si vous aviez ramené ma Finette, je me consolerais des autres, car elles n’aiment rien. » Elles frappèrent. Toc, toc. Le roi dit : « Qui va là ? » Elles répondirent : « Ce sont vos trois filles, Fleur-d’Amour, Belle-de-Nuit, et Fine-Oreille. » La reine se mit à trembler : « N’ouvrez pas, disait-elle, il faut que ce soit des esprits, car il est impossible qu’elles puissent être revenues. » Le roi était aussi poltron que sa femme, et il disait : « Vous me trompez, vous n’êtes point mes filles. » Mais Fine-Oreille, qui était adroite, lui dit : « Mon papa, je vais me baisser, regardez-moi par le trou du chat, et si je ne suis pas Finette, je consens d’avoir le fouet. » Le roi regarda comme elle lui avait dit, et dès qu’il l’eut reconnue, il leur ouvrit. La reine fit semblant d’être bien aise de les revoir, elle leur dit qu’elle avait oublié quelque chose, qu’elle l’était venu chercher ; mais qu’assurément elle les aurait été retrouver. Elles feignirent de la croire, et montèrent dans un beau petit grenier, où elles couchaient.

« Çà, dit Finette, mes sœurs, vous m’avez promis une poupée, donnez-la-moi. — Vraiment tu n’as qu’à t’y attendre, petite coquine, dirent-elles, tu es cause que le roi ne nous regrette pas. » Là-dessus, prenant leurs quenouilles, elles la battirent comme plâtre. Quand elles l’eurent bien battue, elle se coucha ; et comme elle avait tant de plaies et de bosses, elle ne pouvait dormir, et elle entendit que la reine disait au roi : « Je les mènerai d’un autre côté, encore plus loin, et je suis certaine qu’elles ne reviendront jamais. » Quand Finette entendit ce complot, elle se leva tout doucement pour aller voir encore sa marraine. Elle entra dans le poulailler, elle prit deux poulets et un maître coq, à qui elle tordit le cou, puis deux petits lapins que la reine nourrissait de choux, pour s’en régaler dans l’occasion ; elle mit le tout dans un panier et partit. Mais elle n’eut pas fait une lieue à tâtons, mourant de peur, que le cheval d’Espagne vint au galop, ronflant et hennissant ; elle crut que c’était fait d’elle, que quelques gens d’armes l’allaient prendre. Quand elle vit le joli cheval tout seul, elle monta dessus, ravie d’aller si à son aise : elle arriva promptement chez sa marraine.

Après les cérémonies ordinaires, elle lui présenta les poulets, le coq et les lapins, et la pria de l’aider de ses bons avis, parce que la reine avait juré qu’elle les mènerait jusqu’au bout du monde. Merluche dit à sa filleule de ne pas s’affliger ; elle lui donna un sac tout plein de cendre : « Vous porterez le sac devant vous, lui dit-elle, vous le secouerez, vous marcherez sur la cendre, et, quand vous voudrez revenir, vous n’aurez qu’à regarder l’impression de vos pas ; mais ne ramenez point vos sœurs, elles sont trop malicieuses, et si vous les ramenez, je ne veux plus vous voir. » Finette prit congé d’elle, emportant, par son ordre, pour trente ou quarante millions de diamants en une petite boîte, qu’elle mit dans sa poche. Le cheval était tout prêt, et la rapporta comme à l’ordinaire. Au point du jour, la reine appela les princesses ; elles vinrent, et elle leur dit : « Le roi ne se porte pas très bien ; j’ai rêvé cette nuit qu’il faut que j’aille lui cueillir des fleurs et des herbes en un certain pays où elles sont fort excellentes, elles le feront rajeunir ; c’est pourquoi allons-y tout à l’heure. » Fleur-d’Amour et Belle-de-Nuit, qui ne croyaient pas que leur mère eût encore envie de les perdre, s’affligèrent de