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L’OISEAU BLEU.

le carrosse, les ratons et les marionnettes. Cette nouveauté étonna si fort Truitonne, qu’elle s’écria deux ou trois fois : « Mie-Souillon, Mie-Souillon, veux-tu cinq sols du carrosse et de ton attelage souriquois ? — Demandez aux gens de lettres et aux docteurs de ce royaume, dit Florine, ce qu’une telle merveille peut valoir, et je m’en rapporterai à l’estimation du plus savant. » Truitonne, qui était absolue en tout, lui répliqua : « Sans m’importuner plus longtemps de ta crasseuse présence, dis-m’en le prix. — Dormir encore dans le cabinet des Échos, dit-elle, est tout ce que je demande. — Va, pauvre bête, répliqua Truitonne, tu n’en seras pas refusée. »  Et se tournant vers ses dames : « Voilà une sotte créature, dit-elle, de retirer si peu d’avantages de ses raretés. »

La nuit vint. Florine dit tout ce qu’elle put imaginer de plus tendre, et elle le dit aussi inutilement qu’elle l’avait déjà fait, parce que le roi ne manquait jamais de prendre son opium. Les valets de chambre disaient entre eux : « Sans doute que cette paysanne est folle : qu’est-ce qu’elle raisonne toute la nuit ? — Avec cela, disaient les autres, il ne laisse pas d’y avoir de l’esprit et de la passion dans ce qu’elle conte. » Elle attendait impatiemment le jour, pour voir quel effet ses discours auraient produit. « Quoi ! ce barbare est devenu sourd à ma voix ! disait-elle. Il n’entend plus sa chère Florine ? Ah ! quelle faiblesse de l’aimer encore ! que je mérite bien les marques de mépris qu’il me donne ! » Mais elle y pensait inutilement, elle ne pouvait se guérir de sa tendresse. Il n’y avait plus qu’un œuf dans son sac dont elle dût espérer du secours ; elle le cassa : il en sortit un pâté de six oiseaux qui étaient bardés, cuits et fort bien apprêtés ; avec cela, ils chantaient merveilleusement bien, disaient la bonne aventure, et savaient mieux la médecine qu’Esculape. La reine resta charmée d’une chose si admirable ; elle alla avec son pâté parlant dans l’antichambre de Truitonne.

Comme elle attendait qu’elle passât, un des valets de chambre du roi s’approcha d’elle et lui dit : « Ma Mie-Souillon, savez-vous bien que, si le roi ne prenait pas de l’opium pour dormir, vous l’étourdiriez assurément ? car vous jasez la nuit d’une manière surprenante. » Florine ne s’étonna plus de ce qu’il ne l’avait pas entendue ; elle fouilla dans son sac et lui dit : « Je crains si peu d’interrompre le repos du roi, que, si vous voulez ne point lui donner d’opium ce soir, en cas que je couche dans ce même cabinet, toutes ces perles et tous ces diamants seront pour vous. » Le valet de chambre y consentit et lui en donna sa parole.

À quelques moments de là, Truitonne vint ; elle aperçut la reine avec son pâté, qui feignait de le vouloir manger : « Que fais-tu là, Mie-Souillon ? lui dit-elle. — Madame, répliqua Florine, je mange des astrologues, des musiciens et des médecins. » En même temps tous les oiseaux se mettent à chanter plus mélodieusement que des sirènes ; puis ils s’écrièrent : « Donnez la pièce blanche et nous vous dirons votre bonne aventure. » Un canard, qui dominait, dit plus haut que les autres : « Can, can, can, je, suis médecin, je guéris de tous les maux et de toute sorte de folie, hormis de celle d’amour. » Truitonne, plus surprise de tant de merveilles qu’elle l’eût été de ses jours, jura : « Par la vertuchou, voilà un excellent pâté ! je le veux avoir ; çà, çà, Mie-Souillon, que t’en donnerai-je ? — Le prix ordinaire, dit-elle : coucher dans le cabinet des Échos, et rien davantage. — Tiens, dit généreusement Truitonne (car elle était de belle humeur par l’acquisition d’un tel pâté), tu en auras une pistole. » Florine, plus contente qu’elle l’eût encore été, parce qu’elle espérait que le roi l’entendrait, se retira en la remerciant.

Dès que la nuit parut, elle se fit conduire dans le cabinet, souhaitant avec ardeur que le valet de chambre lui tînt parole, et qu’au lieu de donner de l’opium au roi il lui présentât quelque autre chose qui pût le tenir éveillé. Lorsqu’elle crut que chacun s’était endormi, elle commença ses plaintes ordinaires. « À combien de périls me suis-je exposée, disait-elle, pour te chercher, pendant que tu me fuis et que tu veux épouser Truitonne. Que t’ai-je donc fait, cruel, pour oublier tes serments ? Souviens-toi de ta métamorphose, de mes bontés, de nos tendres conversations. » Elle les répéta presque toutes, avec une mémoire qui prouvait assez que rien ne lui était plus cher que ce souvenir.

Le roi ne dormait point, et il entendait si distinctement la voix de Florine et toutes ses paroles, qu’il ne pouvait comprendre d’où elles venaient ; mais son cœur, pénétré de tendresse, lui rappela si vivement l’idée de son incomparable princesse qu’il sentit sa séparation avec la même douleur qu’au moment où les couteaux l’avaient blessé sur le cyprès. Il se mit à parler de son côté comme la reine avait fait du sien : « Ah ! princesse, dit-il, trop cruelle pour un amant qui vous adorait ! est-il possible que vous m’ayez sacrifié à nos communs ennemis ! » Florine entendit ce qu’il disait, et ne manqua pas de lui répondre et de lui apprendre que, s’il voulait entretenir la Mie-Souillon, il serait éclairci de tous les mystères qu’il n’avait pu pénétrer jusqu’alors. À ces mots, le roi, impatient, appela un de ses valets de chambre et lui demanda s’il ne pouvait point trouver Mie-Souillon et l’amener. Le valet de chambre répliqua que rien n’était plus aisé, parce qu’elle couchait dans le cabinet des Échos.

Le roi ne savait qu’imaginer : quel moyen de croire qu’une si grande reine que Florine fût déguisée en souillon ? Et quel moyen de croire que Mie-Souillon eût la voix de la reine et sût des secrets si particuliers, à moins que ce ne fût elle-même ? Dans cette incertitude il se leva, et, s’habillant avec précipitation, il descendit par un degré dérobé dans le cabinet des Échos, dont la reine avait ôté la clef ; mais le roi en avait une qui ouvrait toutes les portes du palais.