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LA BELLE AUX CHEVEUX D’OR

monstre, » de sorte que la princesse, qui entendit bien du bruit, et qui tremblait qu’on ne lui vînt apprendre la mort d’Avenant, n’osait demander ce qui lui était arrivé ; mais elle vit entrer Avenant avec la tête du géant, qui ne laissa pas de lui faire encore peur, bien qu’il n’y eût plus rien à craindre. « Madame, lui dit-il, votre ennemi est mort, j’espère que vous ne refuserez plus le roi mon maître ? — Ah ! si fait, dit la Belle aux cheveux d’or, je le refuserai si vous ne trouvez moyen, avant mon départ, de m’apporter de l’eau de la grotte ténébreuse.

Il y a proche d’ici une grotte profonde qui a bien six lieues de tour ; on trouve à l’entrée deux dragons qui empêchent qu’on y entre, ils ont du feu dans la gueule et dans les yeux. Puis, lorsqu’on est dans la grotte, on trouve un grand trou dans lequel il faut descendre : il est plein de crapauds, de couleuvres et de serpents. Au fond de ce trou, il y a une petite cave où coule la fontaine de beauté et de santé ; c’est de cette eau que je veux absolument. Tout ce qu’on en lave devient merveilleux ; si l’on est belle, on demeure toujours belle ; si l’on est laide, on devient belle ; si l’on est jeune, on reste jeune ; si l’on est vieille, on devient jeune. Vous jugez bien, Avenant, que je ne quitterai pas mon royaume sans en emporter. — Madame, lui dit-il, vous êtes si belle que cette eau vous est bien inutile ; mais je suis un malheureux ambassadeur dont vous voulez la mort ; je vais aller chercher ce que vous désirez, avec la certitude de n’en pouvoir revenir. » La Belle aux cheveux d’or ne changea point de dessein, et Avenant partit avec le chien Cabriole, pour aller à la grotte ténébreuse chercher de l’eau de beauté. Tous ceux qu’il rencontrait sur le chemin disaient : « C’est une pitié de voir un garçon si aimable s’aller perdre de gaieté de cœur ; il va seul à la grotte, et quand il irait lui centième, il n’en pourrait venir à bout. Pourquoi la princesse ne veut-elle que des choses impossibles ? » Il continuait de marcher, et ne disait pas un mot ; mais il était bien triste.

Il arriva vers le haut d’une montagne, où il s’assit pour se reposer un peu, et il laissa paître son cheval et courir Cabriole après des mouches ; il savait que la grotte ténébreuse n’était pas loin de là, il regardait s’il ne la verrait point ; enfin il aperçut un vilain rocher noir comme de l’encre, d’où sortait une grosse fumée, et au bout d’un moment un des dragons qui jetait du feu par les yeux et par la gueule ; il avait le corps jaune et vert, des griffes et une longue queue qui faisait plus de cent tours. Cabriole vit tout cela ; il ne savait où se cacher, tant il avait peur.

Avenant, tout résolu de mourir, tira son épée, et descendit avec une fiole que la Belle aux Cheveux d’or lui avait donnée pour la remplir de l’eau de beauté. Il dit à son chien Cabriole : « C’en est fait de moi ! je ne pourrai jamais avoir de cette eau qui est gardée par des dragons ; quand je serai mort, remplis la fiole de mon sang et la porte à la princesse, pour qu’elle voie ce qu’elle me coûte ; et puis va trouver le roi mon maître et lui conte mon malheur. » Comme il parlait ainsi, il entendit qu’on appelait : « Avenant ! Avenant ! » Il dit : « Qui m’appelle ? » et il vit un hibou dans le trou d’un vieil arbre, qui lui dit : « Vous m’avez retiré du filet des chasseurs où j’étais pris, et vous me sauvâtes la vie, je vous promis que je vous le revaudrais, en voici le temps. Donnez-moi votre fiole : je sais tous les chemins de la grotte ténébreuse, je vais vous chercher de l’eau de beauté. » Dame ! qui fut bien aise ? je vous le laisse à penser. Avenant lui donna vite sa fiole, et le hibou entra sans nul empêchement dans la grotte. En moins d’un quart d’heure, il revint rapporter la bouteille bien bouchée. Avenant fut ravi. Il le remercia de tout son cœur ; et, remontant la montagne, il prit le chemin de la ville bien joyeux.


Avenant, tout résolu de mourir, tira son épée… (p. 15)

Il alla droit au palais, il présenta la fiole à la Belle aux cheveux d’or, qui n’eut plus rien à dire : elle remercia Avenant, et donna ordre de préparer tout ce qu’il fallait pour partir ; puis elle se mit en voyage avec lui. Elle le trouvait bien aimable et lui disait quelquefois : « Si vous aviez voulu, je vous aurais fait roi, nous ne serions point partis de mon royaume ; » mais il répondit : « Je ne voudrais pas faire un si grand déplaisir à mon maître pour tous les royaumes de la terre, quoique je vous trouve plus belle que le soleil. »

Enfin ils arrivèrent à la grande ville du roi, qui, sachant que la Belle aux cheveux d’or venait, alla au-devant d’elle et lui fit les plus beaux présents du monde. Il l’épousa avec tant de réjouissances que l’on ne parlait d’autre chose ; mais la Belle aux cheveux d’or, qui aimait Avenant dans le fond de son cœur, n’était bien aise que quand elle le voyait, et elle le louait toujours ; Je ne serais point venue sans Avenant, dit-elle au roi ; il a fallu qu’il ait fait des choses impossibles pour mon service : vous