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APPLICATION DU RÉGIME CENSITAIRE


Louis XVI avait fait remise de la capitation, pour plusieurs années, à tous les Parisiens qui avaient été taxés au-dessous de six livres. Cette grâce royale se trouvait avoir diminué par avance le nombre des citoyens actifs, surtout dans les faubourgs Saint-Marceau et Saint-Antoine[1]. J’ai trouvé, dans les papiers du Comité de constitution, une longue et respectueuse pétition des « ouvriers du faubourg Saint-Antoine », qui fut reçue par l’Assemblée nationale le 13 février 1790. Ils y protestent contre la distinction en actifs et en passifs. D’autre part, s’ils ne sont pas citoyens actifs, c’est parce qu’ils ne paient pas de contribution directe. Ils sollicitent la faveur d’en payer une, pour n’être plus des « ilotes ». Ils demandent que, dans tout le royaume les impositions indirectes et autres soient remplacées par une imposition directe unique de 2 sols par tête, soit 36 livres par an, ce qui donnera une recette annuelle de 900 millions au plus, de 600 millions au moins. Et les vingt-sept signataires de cette pétition affirment que tous les ouvriers du faubourg sont d’accord avec eux[2]. Les journaux ne signalèrent même pas cette démarche, et l’Assemblée nationale n’en tint aucun compte.

V C’est dans les départements que se fit la première expérience du mode censitaire de suffrage, par les élections municipales de janvier et février 1790.

Il y a, dans les papiers du Comité de constitution, quelques renseignements sur la manière dont cette expérience fut faite et accueillie.

Voici, par exemple, une lettre de Mouret, syndic de Lescar, à « monseigneur le président de l’Assemblée nationale », du 7 mars 1790. Il mande que les élections municipales ont eu lieu le 26 février. La commune compte environ 2200 habitants. On a élu un maire, cinq officiers municipaux et douze notables. « Le scrutin n’a pu rendre autre chose dans le moment, à raison de l’article du décret qui exige dix journées de travail pour être éligible ; il en serait autrement, si cette condition était modérée, si elle était fixée à 40 sols pour élire et à 4 francs pour être élu. Les deux tiers des habitants de cette ville ne seraient pas exclus, comme ils sont, de participer aux charges honorables, et condamnés à croupir dans une inaction avilissante. » Et il signale la contradiction criante avec la Déclaration des droits[3].
La municipalité de Rebenac en Béarn écrit, en mars 1790, que dans cette paroisse, qui compte environ 1100 âmes, et dont les habitants sont en partie laboureurs et en majeure partie « fabricants de laine et autres métiers », la journée de travail a été fixée à 6 sols, sans quoi il n’y aurait eu que 12 éligibles, tandis qu’il en fallait 19 pour former la municipalité. Il s’est trouvé environ 130 citoyens actifs.

  1. Arch. nat., D IV, 49, dossier 142, pièce 8 : « Questions posées aux Comités par Desvieux, ex-vice-president du ci-devant district de Saint-Eustache. »
  2. Ibid., dossier 1425, pièce 1.
  3. Arch. nat., D IV, 10, dossier 155, pièce 7.