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BOURGEOISIE ET DÉMOCRATIE

plan de municipalité, Condorcet avait lu à ce comité, le 12 décembre 1789, un mémoire où il demandait la révocation pure et simple du décret sur le marc d’argent. Il se fit autoriser par ses collègues à présenter officieusement ce mémoire au Comité de constitution de l’Assemblée nationale, qui, désireux (on l’a vu) d’élargir la base électorale, répondit que, si Paris joignait sa voix à celles des autres villes, cette manifestation pourrait avoir de l’influence, et « qu’ainsi c’était le cas de consulter sur ce point l’Assemblée générale et les districts[1] ».

Alors Condorcet présenta officiellement un mémoire à la Commune[2] qui arrêta (28 janvier 1790) que ce mémoire serait présenté à l’Assemblée nationale, « après que la majorité des districts aurait manifesté son vœu ». Mais il ne semble pas que la Commune, alors plutôt bourgeoise de tendances, ait convoqué les districts à cet effet. Ceux-ci se mirent en mesure d’agir par eux-mêmes. Déjà, le 9 janvier, le district de Saint-Jean-en-Grève avait provoqué une réunion de commissaires des districts, qui dut avoir lieu le 31 janvier. Il fut rédigé une « adresse de la Commune de Paris dans ses sections », en date du 8 février 1790, qui ne fut signée que de 27 districts sur 60, mais qui exprimait certainement, comme l’a bien montré l’éditeur des Actes de la Commune de Paris[3], l’opinion de la majorité des districts. On y suppliait l’Assemblée de revenir, non seulement sur le décret du marc d’argent, mais sur toute disposition censitaire. On y déclarait contraire à la Déclaration des droits qu’il y eût quatre classes dans la nation : la classe des éligibles au Corps législatif ; la classe des éligibles aux assemblées administratives ; la classe des citoyens actifs, électeurs dans les assemblées primaires ; « une quatrième enfin, déchue de toute prérogative, courbée sous la loi qu’elle n’aura ni faite, ni consentie, privée des droits de la nation dont elle fait partie, retracera la servitude féodale et mainmortable[4] ».

Présentée le 9 février à l’Assemblée nationale, cette adresse fut renvoyée au Comité de constitution. Le lendemain 10, le président de la députation des districts, nommé Arsandaux, insista vainement par lettre auprès du président de l’Assemblée pour être entendu à la barre : « Ce n’est pas, dit-il, un particulier, c’est tout Paris dans ses sections, c’est la France entière qui réclame contre le décret du marc d’argent[5].» L’adresse des districts ne fut l’objet d’aucun rapport.

Mais Paris était d’autant plus intéressé à la question qu’il se trouvait, du fait de l’ancien régime, dans une situation exceptionnelle, une foule de citoyens n’y payant d’autre impôt direct que la capitation. Or,

  1. Sigismond Lacroix, t.III, p.591.
  2. Ce mémoire fut imprimé alors dans le recueil intitulé Cercle social, lettre VIII, p. 57. Il parut aussi à part, et il y a, au British Museum, un exemplaire de cette impression, dont M. Sigismond Lacroix a reproduit le texte.
  3. T. III, p. 618, 619.
  4. Sigismond Lacroix, t. III, p. 620.
  5. Arch. nat., D iv, 49, dossier 1404.