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LE RÉGIME CENSITAIRE

un débat tumultueux[1]. Virieu, parlant des citoyens exclus de l’éligibilité, s’écria : « Qu’ils deviennent propriétaires, et rien ne les empêchera d’en jouir ! » Rœderer et Castellane parlèrent en faveur du projet du Comité. Après un vote douteux, on recourut à l’appel nominal, et l’article fut rejeté par 453 voix contre 443[2].

La question du marc d’argent fut très habilement réintroduite et rouverte par Robespierre, dans la séance du 25 janvier 1790[3] : « En Artois, dit-il, la contribution directe personnelle est inconnue, parce que la taille personnelle ou la capitation y ont été converties par l’administration des États en vingtièmes et en impositions foncières. » Ce n’est donc que comme propriétaire foncier qu’en Artois on pourrait arriver à payer le marc d’argent. Et la plus grande partie des habitants de cette province se trouverait ainsi frappée d’une « exhérédation politique ». Robespierre ne demanda pas une mesure particulière pour l’Artois : le projet de décret qu’il lut avait pour objet d’ajourner l’application de la condition du marc d’argent jusqu’à l’époque où l’Assemblée aurait réformé le système d’impositions existant.

Comme toutes les propositions démocratiques, celle de Robespierre mit la majorité en colère. Il y eut réclamations, huées, tumulte, « ouragan et volcan », dit Le Hodey. On réclama la question préalable. Charles de Lameth demanda qu’on discutât, mais en ajournant à une autre séance. Un député[4] obtint le renvoi au Comité de constitution, qui fut chargé de préparer un décret. Robespierre eut gain de cause. En effet, le décret du 2 février 1790 édicta, article 6, que, dans les lieux où l’on ne percevait aucune contribution directe, il n’y aurait pas de condition censitaire pour être citoyen actif et éligible, jusqu’à la nouvelle organisation de l’impôt ; on exceptait seulement « dans les villes, les citoyens qui, n’ayant ni propriétés, ni facultés connues, n’auront, d’ailleurs, ni profession ni métier ; et, dans les campagnes, ceux qui n’auront aucune propriété foncière, ou qui ne tiendront pas une ferme ou une métairie de trente livres de bail ».

Cette nouvelle organisation, quant à l’objet qui nous occupe, ne fut réglée que par la loi du 13 janvier 1791.

Il suit de là, je veux dire de ces faits et de ces dates, que, dans une partie de la France, les élections administratives, judiciaires, ecclésiastiques eurent lieu par un suffrage presque universel ; mais que, pour les élections à l’Assemblée législative, on appliqua toute la rigueur du

  1. Le meilleur compte-rendu de ce débat se trouve dans le Courrier de Provence, t. IV, n° LXXVI.
  2. Ces chiffres nous sont fournis, non par le Procès-verbal, qui n’en donne pas, mais par le Point du Jour, t. V, p. 40, le Courrier de Provence, n° LXXVI, p. 13, le Journal de Le Hodey, t. VI, p. 331, le Patriote français n° CXXII, p. 2, et le Courrier de Gorsas, t. VI, p. 392. Gorsas ajoute que certains députés disaient « que la majorité était réellement de 460 voix contre 433 ».
  3. Point du Jour, t. VI, p. 184 à 186 ; Le Hodey, t. VIII, p. 61 à 64.
  4. Le Point du Jour l’appelle Dumetz. Il n’y avait pas de constituant de ce nom. Peut-être est-ce Beaumez.