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BOURGEOISIE ET DÉMOCRATIE

seulement à deux onces d’argent. Décrété qu’elle sera évaluée à un marc.

Alors, le président donna lecture de l’article décrété : « Pour être éligible à l’Assemblée nationale, il faudra payer une contribution directe équivalente à la valeur d’un marc d’argent, et, en outre, avoir une propriété foncière quelconque. »

On réclama ; on prétendit qu’on n’avait pas voté sur le fond et sur l’ensemble, etc.[1]. L’Assemblée alla aux voix, et déclara « que tout est décidé ». Les opposants insistèrent. La question des fils de famille revint sur le tapis et inspira un discours à Barère[2], et l’Assemblée, allant encore aux voix, décréta « que le décret a été rendu légalement ». Aussitôt, la discussion recommença, confuse, violente, comme si l’Assemblée avait des remords. Elle finit par se déjuger, et, allant une troisième fois aux voix, décida qu’elle « remettait la délibération au premier jour, laissant toutes choses en l’état ».

La délibération reprit le 3 novembre. Il y eut de nouveaux discours en faveur des fils de famille, de nouvelles tentatives pour faire rapporter le décret. L’Assemblée le confirma définitivement.

Le Comité de constitution essaya bientôt d’atténuer les effets antidémocratiques de ce décret sur le marc d’argent et du système censitaire en général. Le 3 décembre 1789, entre autres articles additionnels sur les élections, il proposa un article 6, ainsi conçu : « La condition de l’éligibilité, relative à la contribution directe déclarée nécessaire pour être citoyen actif, électeur ou éligible, sera censée remplie par tout citoyen qui, pendant deux ans consécutifs, aura payé volontairement un tribut civique égal à la valeur de cette contribution. »

Cette proposition souleva une tempête de protestations. On hua le Comité. « Mille voix réunies, dit Gorsas[3], ont crié : A l’astuce !» D’autres crient que la corruption va vicier le suffrage. Le Comité recule ; il amende l’article de manière qu’il ne s’applique plus qu’aux éligibles. Mirabeau soutient cette nouvelle rédaction[4]. L’article, mis aux voix, est repoussé. La minorité proteste, obtient l’appel nominal : l’article est définitivement repoussé, par une majorité de quelques voix[5].

Le Comité ne se découragea pas : le 7 décembre, il proposa un article 8, qui dispensait des conditions censitaires pour l’éligibilité, soit aux assemblées administratives, soit à l’Assemblée nationale, les citoyens qui obtiendraient les trois quarts des suffrages. Il y eut encore

  1. Sur le tumulte qui s’éleva alors dans l’Assemblée, voir Gorsas, t. V, p. 175.
  2. Robespierre (Point du Jour, t. III, p. 494) se prononça contre l’exception en faveur des fils de famille. « Il y a chose jugée, dit-il.» Pourquoi ? Est-ce qu’il sentit que cette exception fortifierait le système bourgeois ? Cf. Le Hodey, t. V, p. 256.
  3. Courrier, t. VI, p. 332.
  4. Point du Jour, t. V. p. 6.
  5. Le Procès-verbal ne donne pas de chiffres. Le Point du Jour dit que la majorité fut de 14 voix. Le Hodey, t. VI, p. 271, indique 439 voix contre 428. Le Courrier de Provence, n° LXXIV. p. 26 : 442 voix contre 436. Gorsas, t. VI, p. 339, dit « 449 voix contre 428 à peu près.»