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BOURGEOISIE ET DÉMOCRATIE

qui avaient servi seize ans au moins seraient électeurs et éligibles sans autre condition de cens[1]. Enfin, il semble que les ecclésiastiques aient été admis comme citoyens actifs aux assemblées primaires sans être astreints à la condition de trois journées de travail[2].

Il existe une statistique officielle de la population active de la France. Sur 26 millions d’habitants qu’on croyait que la France comptait alors, il y eut 4 298 360 citoyens actifs, si on en croit le recensement proclamé dans le décret du 28 mai 1791.

Telles furent les conditions requises pour être admis à voter au premier degré, pour faire partie des assemblées primaires, pour être citoyen actif[3]. Restait à régler les conditions d’éligibilité. Le Comité de constitution proposait d’exiger le paiement d’une contribution égale à la valeur locale de dix journées de travail : 1° pour être nommé électeur par les assemblées primaires ; 2° pour être élu membre de l’assemblée de département ; 3° pour être élu membre de l’assemblée de district ; 4° pour être élu membre des assemblées municipales. Le débat s’ouvrit le 28 octobre 1789 et se termina le même jour, par l’adoption du projet du Comité[4]. Il y avait eu un peu d’opposition. Du Pont(de Nemours) ne voulait aucune restriction censitaire au droit d’éligibilité, et Montlosier opinait de même : « Jean-Jacques Rousseau, disait-il, n’aurait jamais pu être élu.[5] » Au contraire, de Virieu demandait qu’on exigeât, en outre, la possession d’une « propriété foncière suffisante[6] ». Les députés démocrates ne semblent pas avoir « donné » dans cette circonstance[7] : ils se réservaient pour le débat sur le marc d’argent.

Ce débat sur le marc d’argent, c’est-à-dire sur les conditions d’éligibilité à l’Assemblée nationale, commença le 29 octobre 1789[8].

Le Comité de constitution, renonçant à exiger la possession d’une propriété foncière, demandait « qu’on s’occupât de la condition de payer une contribution foncière égale à la valeur d’un marc d’argent, pour


    au Comité s’il faudra suivre les mêmes règles pour la formation des assemblées primaires, en vue des élections à la future Assemblée nationale. (Arch. nat., D IV, dossier 1.425, pièce 25.) Nous n’avons pas la réponse du Comité à cette lettre.

  1. Cf. l’instruction du 12 août 1790, $ VI, art. 20.
  2. Cela résulte d’un discours de Robespierre, Œuvres, éd. Laponneraye, t. I, p. 173. Mais je n’ai trouvé ni loi ni arrêté à ce sujet. — Voici les expressions de Robespierre : « Vous les avez accordés (les droits de citoyen actif) aux ministres du culte, lorsqu’ils ne peuvent remplir les conditions pécuniaires exigées par vos décrets. »
  3. Notons ici que ce sont les assemblées primaires qui étaient juges de la capacité et des titres des citoyens actifs et des citoyens éligibles. Voir les décrets du 22 décembre 1789 et du 3 février 1790.
  4. Point du Jour, t. III, p. 478 à 480.
  5. Gorsas, Courrier, t. V, p. 169.
  6. Ibid., p. 170.
  7. Mirabeau, qui était hostile à l’idée de créer une classe bourgeoise privilégiée, disait cependant ou faisait dire dans son journal, le Courrier de Provence, n°LIX, p. 13, que le décret sur les 10 journées de travail était « très propre à exciter et à honorer une laborieuse industrie ».
  8. Pour analyser ce débat, je suis le Procès-verbal, qui est ici très clair, très bien fait, en y ajoutant les noms des orateurs et des extraits de discours d’après les gazettes de Barère et de Le Hodey.