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BOURGEOISIE ET DÉMOCRATIE

blement et sans armes en assemblées particulières pour rédiger des adresses et des pétitions ». Ces réunions tinrent lieu, jusqu’à un certain point, des assemblées d’habitants ; elles devinrent, en fait, un des organes importants de la vie municipale. Ce furent les clubs de Jacobins, qui maintinrent la Révolution, unifièrent la France et contribuèrent indirectement, et sans le vouloir d’abord, à l’avènement de la démocratie et de la république.


III Nous avons vu comment l’Assemblée nationale avait organisé la monarchie. Voyons comment elle organisa la bourgeoisie en classe politiquement privilégiée.

Le lecteur n’a pas oublié que les philosophes et les écrivains politiques du XVIIIe siècle avaient été unanimes — y compris Rousseau — contre l’idée d’établir en France la démocratie telle que nous l’entendons, le régime du suffrage universel, et les Français avaient encore été encouragés à répudier cette démocratie par l’exemple de ces Anglo-Américains, qui avaient établi dans leurs républiques un mode censitaire de suffrage.

Au début de la Révolution, c’est encore le même état d’esprit.

Ainsi, en juin 1789, Camille Desmoulins écrit[1] :

« Les hommes qui se sont réunis les premiers en société ont vu d’abord que l’égalité primitive ne subsisterait pas longtemps ; que, dans les assemblées qui suivaient la première, tous les associés n’auraient plus le même intérêt à la conservation du pacte social, garant des propriétés, et ils se sont occupés de mettre la dernière classe des citoyens hors d’état de le rompre. Dans cet esprit, les législateurs ont retranché du corps politique cette classe de gens qu’on appelait prolétaires, comme n’étant bons qu’à faire des enfants et à recruter la société ; ils les ont relégués dans une centurie sans influence sur l’assemblée du peuple. Éloignée des affaires par mille besoins, et dans une continuelle dépendance, cette centurie ne peut jamais dominer dans l’État. Le sentiment seul de leur condition les écarte d’eux-mêmes des assemblées. Le domestique opinera-t-il avec le maître, et le mendiant avec celui dont l’aumône le fait subsister ? »

Quelques semaines après, Camille Desmoulins changea d’avis, et il ne fut pas le seul. Il y eut bientôt des partisans du suffrage universel, de la démocratie, même parmi les disciples de Rousseau, même parmi ceux qui, comme Robespierre, adoraient Rousseau.

Pourquoi ?

Parce qu’un fait nouveau s’était produit : l’entrée en scène, la prise de robe virile du peuple qui, uni à la bourgeoisie, avait conquis la Bastille, opéré la révolution municipale dans toute la France.

Était-il juste ou possible de réléguer dans la centurie des prolétaires

  1. La France libre. Œuvres de C. Desmoulins, éd. Claretie, t. I, p. 85.