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BOURGEOISE ET DÉMOCRATIE

Le roi payait bien cher la faute qu’il avait commise en désertant son devoir politique de directeur de l’opinion, de directeur de la Révolution qui s’annonçait. Le voilà réduit à un rôle humilié et passif, que les Cahiers n’avaient ni demandé ni prévu[1].

Il se conduisit alors comme il s’était déjà conduit, soit avec les Parlements, soit avec l’Assemblée elle-même. Il eut un soubresaut de colère, puis il céda.

Quand, le 1er octobre 1789, on présenta les articles et la Déclaration à son acceptation (forcée !), il dit qu’il répondrait plus tard. Et la cour prépara un coup d’État. Le 5 octobre, il fit savoir qu’il n’acceptait les articles constitutionnels qu’avec réserve, et qu’il refusait de se prononcer sur la Déclaration des droits. Alors Paris intervint : une multitude armée se rendit à Versailles, et le roi, intimidé, donna son acceptation pure et simple. Le peuple l’emmena à Paris[2], où il dut résider, à demi prisonnier, et l’Assemblée l’y suivit.

  1. Notons ici que c’étaient maintenant les réactionnaires qui alléguaient les cahiers, les objectaient aux révolutionnaires. On n’osait plus guère s’autoriser des cahiers à la tribune. Ainsi, dans la séance du 7 décembre 1789, à propos du projet d’atténuer la rigueur de la condition du marc d’argent, le marquis de Foucauld-Lardimalie dit en souriant : « Je suis forcé de vous citer mon malheureux cahier. » Le journaliste Le Hodey (t. VI, p. 319), qui rapporte ce propos (cf. Point du Jour, t.V, p.39), ajoute cette remarque : « L’Assemblée regarde les Cahiers comme un conte de fée, et rarement l’on peut s’empêcher de rire, quand un député veut en argumenter. La raison, c’est que tous ces messieurs les ont outrepassés et que les circonstances l’ont voulu.» Dans des fragments de mémoires intitulés : Extraits de mon journal, publiés en septembre 1791 (in-8 de 128 p. ; Bibl. nat., Lb 39/5289), le constituant Félix Faulcon s’exprime ainsi : « Je ne dirai pas que la plupart de ces cahiers étaient contradictoires, que l’un défendait ce qui était commandé par l’autre, et que, si chaque député eût voulu s’y astreindre littéralement, il eut été impossible de rien faire, ou de faire autre chose que la besogne la plus monstrueuse et la plus incohérente ; je ne chercherai point à soutenir (ce que pourtant je me ferais fort de prouver) qu’il n’est aucune de nos opérations qui n’ait été réclamée par un ou plusieurs cahiers, et que d’ailleurs elles ont toutes été sanctionnées par le vœu national, manifesté si souvent dans les nombreuses adresses d’adhésion… Mais en vérité, aujourd’hui que depuis deux ans l’horizon de nos lumières s’est si prodigieusement agrandi, comment peut-on encore avoir l’impudeur de soutenir que nous devions poser les bases d’une constitution libre sur des principes qui avaient été dictés sous la verge et dans la peur du despotisme ? Était-ce donc des hommes courbés partout sous le joug de toutes les oppressions qui pouvaient s’énoncer avec une entière franchise ? Comment auraient-ils osé attaquer de front les abus de l’ancien régime, dans un temps où l’un des électeurs d’un bailliage de la Normandie fut décrété par le Parlement de Rouen, parce que, dans une assemblée primaire, il s’était avisé très irrévérencieusement de dire quelques vérités sur le compte des ci-devant nos seigneurs ? » (Chapitre XXXII, 28 mars 1791 p. 83)
  2. Pas plus alors qu’au 14 juillet, le peuple de Paris ne songea à détrôner le roi. Il voulait seulement le ramener à Paris, afin de l’y avoir sous sa surveillance, et dans l’espérance que, mieux conseillé, il serait meilleur roi. Il s’agit de placer le roi à la tête de la Révolution, de lui imposer ce rôle auquel il se dérobe, et non d’ébranler le trône. Les insurgés des 5 et 6 octobre 1789 sont encore royalistes. Il serait inutile, après tout ce que nous avons dit, de rappeler qu’au moment de cette insurrection populaire, il n’y avait pas de républicains dans l’Assemblée nationale, s’il n’existait pas, sur la séance du 5 octobre 1789, une anecdote célèbre où le monarchiste Meunier, alors président, est encore une fois présenté comme un républicain. Mirabeau l’ayant engagé, dans une conversation particulière, à lever la séance, il répondit : « Paris marche sur nous ; eh bien, tant mieux : nous en serons