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BOURGEOISIE ET DÉMOCRATIE

C’est ce que Mirabeau comprit, quand, dans son discours du 1er septembre 1789, il présenta le veto absolu comme un moyen d’empêcher la formation d’une aristocratie également hostile au monarque et au peuple. « Le roi, dit-il, est le représentant perpétuel du peuple, comme ses députés sont ses représentants élus à certaines époques. » Cette « démocratie royale[1] », le peuple de Paris n’y comprit rien : il applaudit et siffla. Nous saisissons très bien aujourd’hui la politique de Mirabeau : le roi s’appuyant sur le peuple contre la nouvelle classe privilégiée, la bourgeoisie, comme il s’était jadis appuyé sur le peuple contre l’ancienne classe privilégiée, la noblesse.

Le roi ne comprit pas : il continua à faire cause commune avec la noblesse, cette moribonde, et la cause du peuple parut se confondre avec celle de la bourgeoisie, à tel point que le peuple, dans les querelles de la bourgeoisie et du roi, prit toujours parti pour la bourgeoisie.

Ainsi, le mouvement populaire d’opinion contre le système des deux Chambres, — système proposé par Mounier et le Comité de Constitution, — ne servit au fond qu’à la bourgeoisie, qui, comprenant mieux que Mounier ses véritables intérêts, repoussa l’idée d’une Chambre haute pour écarter la noblesse de la scène politique, et reprendra à son profit, en l’an III, l’idée d’une Chambre haute, quand la noblesse, émigrée ou incarcérée, ne sera plus à craindre.

De même, la permanence du Corps législatif, le droit de dissolution refusé au roi, ces mesures d’apparence démocratique ne furent prises que pour rendre le roi impuissant contre la bourgeoisie.

Empêcher qu’on ne démocratise le roi, faire qu’il n’existe que par et pour la nation bourgeoise, voilà une des intentions des auteurs de ces articles de constitution.

Si, dans la Déclaration des droits, il y avait en germe la République démocratique et sociale, on peut dire que, dans la constitution, il y avait en germe une République bourgeoise.

D’autre part, si nous laissons de côté pour un instant cette question de la bourgeoisie et de la démocratie, nous remarquerons que ces tendances involontairement républicaines ne se marquent pas seulement dans le texte même de la constitution monarchique de 1789, mais aussi et surtout dans la manière dont l’Assemblée demanda au roi son assentiment à la constitution. Elle voulut qu’il l’acceptât, sans lui accorder le droit de la repousser et sans lui permettre d’exercer, en cette matière, son droit de sanction. Il faut citer et peser la théorie qu’exposa Mounier, à cet égard, dans son rapport du 31 août 1789 :

  1. Selon le mot de Wimpffen. Voir plus haut, p. 54. Ce mot resta longtemps célèbre. Même sous Louis-Philippe, il importunait et effrayait les partisans du régime bourgeois. Ainsi Royer-Collard disait à la tribune, en 1831, dans le débat sur l’ hérédité de la pairie : « Allons au vrai : la démocratie royale, qu’elle daigne ou non garder son fantôme de royauté, est ou sera bientôt la démocratie pure. » (Voir ce discours dans la Vie politique de Royer-Collard par M. de Barante, t. II, p. 169.)