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ORGANISATION DE LA MONARCHIE

Français sont attachés de tout temps à la sainte, à la vénérable antiquité de la monarchie ; ils sont attachés au sang auguste de leurs rois, pour lequel ils ont prodigué le leur ; ils révèrent le prince bienfaisant qu’ils ont proclamé le restaurateur de la liberté française. C’est vers le trône consolateur que se tournent toujours les yeux des peuples affligés ; et quels que soient les maux sous lesquels ils gémissent, un mot, un seul mot, dont le charme magique ne peut être expliqué que par leur amour, le nom paternel du roi, suffit pour les ramener à l’espérance[1]. Le gouvernement français est donc monarchique ; et lorsque cette maxime a été prononcée dans cette salle, tout ce que j’ai entendu réclamer, c’est que l’on définît le mot de monarchie. »

Contre ces paroles, qui furent entendues et lues, personne ne protesta, ni dans l’Assemblée, ni au dehors. Ainsi, du haut de la tribune, un orateur provoqua les républicains à se montrer, et il ne s’en montra pas un[2]. Ainsi tous les Français, qui venaient d’acclamer la républicaine Déclaration des droits, étaient monarchistes, jusqu’à ne pas établir même une courte discussion sur la forme du gouvernement.


II Le débat sur la constitution eut donc lieu uniquement entre monarchistes, porta uniquement sur l’organisation de la monarchie. Il commença le 28 août 1789 et prit fin le 2 octobre suivant.

On débuta par la lecture et l’examen de l’article premier du projet de Mounier (déposé le 28 juillet) : « Le gouvernement français est monarchique ; il est essentiellement dirigé par la loi  ; il n’y a point d’autorité supérieure à la loi ; le roi ne règne que par elle, et, quand il ne commande pas au nom de la loi, il ne peut exiger l’obéissance. »

Les motifs de garder la monarchie avaient été brièvement exposés dans un premier rapport du même Mounier (9 juillet 1789). Il y constatait qu’il y avait un roi depuis quatorze siècles, que « le sceptre n’a pas

  1. Rien n’était plus exact. Le nom du roi, uni à celui de l’Assemblée nationale, suffisait, dans les premiers temps de la Révolution, pour ramener le calme dans les esprits les plus troublés. Deux commissaires du roi lui racontèrent en ces termes comment ils avaient apaisé, en janvier 1791, une sédition de paysans dans le département du Lot : « Sire, nous éprouvons une bien douce satisfaction à vous le dire : votre nom et celui de l’Assemblée nationale produisaient tout à coup dans les esprits une impression qui, sans nous étonner, nous pénétrait d’attendrissement. A peine avions-nous prononcé ces noms, qu’il ne faut plus désunir, que le sentiment de la joie, du bonheur et de la reconnaissance se peignait sur tous les visages ; ces noms, enfin, qui rappelaient tant d’actes de bienfaisance et de justice, étaient, pour les bons habitants de la campagne, les meilleurs de tous les raisonnements, et nous ont suffi plus d’une fois, pour toucher leur âme et convaincre leur raison.. » (Rapport de MM. J. Godard et L. Robin, p. 29. Bibl. nat., Le 29/l 410, in-8.)
  2. Pourrait-on dire qu’ils cachaient leur jeu ? On lit dans les Mémoires de Ferrières (1ere éd., t. I p. 203) : « Le premier article excita de longs débats, non sur le fond, quelque désir qu’eussent les révolutionnaires d’anéantir le gouvernement monarchique et d’y substituer un gouvernement républicain : ils n’étaient pas alors assez puissants pour oser montrer à découvert leurs intentions. » Mais il faut remarquer que Ferrières écrivait cela sous le Directoire (ses Mémoires parurent en l’an VII), et que ses souvenirs étaient déjà assez lointains