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CONSÉQUENCES DE LA DÉCLARATION

sent aussi forts d’esprit et de corps les uns que les autres ? Cette niaiserie ne leur a été attribuée que plus tard, par de niais adversaires.

Ont-ils voulu dire qu’il est souhaitable que les institutions corrigent autant que possible les inégalités naturelles, c’est-à-dire tendent à ramener tous les hommes à un type moyen de force physique et intellectuelle ? Ce serait abaisser le niveau, comprimer l’évolution. Cela a été dit, demandé, mais plus tard, par d’autres.

Le sens évident de cet article, c’est qu’aux inégalités naturelles il n’est pas équitable que les institutions ajoutent des inégalités artificielles. Un homme naît plus vigoureux, plus intelligent qu’un autre. Est-il juste qu’il trouve en outre dans son berceau une somme d’argent ou une propriété foncière, qui double, triple sa force d’attaque et de défense dans le combat pour la vie ? Est-il juste qu’un homme né sot ou méchant hérite de moyens qui rendront sa bêtise ou sa méchanceté plus malfaisantes ? Est-il juste qu’il y ait, par le fait des lois, des riches de naissance, des pauvres de naissance ? Et l’article 2, en établissant le droit à la propriété, ne disait pas que les propriétés seraient inégalement réparties.

Ce bourgeois, c’est-à-dire cet homme qui recevait, à sa naissance, un privilège économique et un privilège politique, le peuple en 1792 le dépouillera de son privilège politique : ne serait-il pas logique de lui enlever aussi son privilège économique ?

Cela ne vint d’abord à l’idée de presque personne. C’est qu’une première révolution économique et sociale s’était opérée ou allait s’opérer par la destruction de la propriété féodale, par l’abolition du droit d’aînesse, par la vente des biens nationaux, par une moins injuste constitution et répartition de la propriété. L’ensemble des Français furent satisfaits de cette révolution, et ne virent pas au delà, parce que les plus criantes de leurs souffrances venaient d’être calmées.

C’est quand d’autres souffrances, issues de l’ordre de choses nouveau, se firent sentir, que l’on demanda à tirer les conséquences complètes de la Déclaration des droits. Et comme ce fut une minorité qui souffrit réellement, ouvriers des villes réduits à la misère par les conditions économiques qu’avait amenées la prolongation de la guerre, ce fut une minorité qui réclama, essaya de s’insurger, et cela aussi parce que la bourgeoisie, en l’an III, avait récupéré son privilège politique. Babeuf prêcha le communisme, et, ne représentant qu’une minorité, fut aisément vaincu.

Comment plus tard le développement du machinisme, le changement des rapports du capital et du travail amenèrent le mouvement appelé socialisme, qui n’a pas abouti, parce qu’il n’a pas eu l’assentiment de la masse de la nation, c’est ce qu’on n’a pas à dire en ce moment.

Ce que j’ai voulu montrer, c’est qu’on a tort d’opposer au socialisme les principes de 1789. C’est toujours cette erreur qui consiste à confondre la Déclaration des droits de 1789 avec la Constitution monar-