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LE DÉBUT DE LA RÉVOLUTION

cation immédiate du principe essentiel de la Déclaration, ce qui revient à dire qu’il n’y eut pas d’abord de parti républicain ou démocratique.

Quand les fautes du roi eurent déchiré le voile, quand le pacte entre la nation et le roi fut décidément rompu, l’expérience amena les Français à appliquer les conséquences de la Déclaration, par le régime de 1792 et de 1793, c’est-à-dire par la démocratie et la République.

Les hommes de 1792 et de 1793, on les a appelés les renégats des principes de 1789[1]. Oui, ils violèrent momentanément la liberté de la presse, la liberté individuelle, les garanties de justice légale et normale. Ils le firent, parce que la Révolution était en état de guerre contre l’Europe ; ils le firent contre l’ancien régime au profit du nouveau ; ils le firent pour sauver les principes essentiels de la Déclaration. Mais ce qu’on ne dit pas, c’est que, les premiers, ils appliquèrent ces principes essentiels, égalité des droits, souveraineté de la nation, en établissant le suffrage universel et la République, en organisant, en faisant fonctionner une démocratie qui, à l’extérieur, réalisa le rêve royal par l’acquisition de la rive gauche du Rhin, et qui, à l’intérieur, proclama la liberté de conscience, sépara l’Église de l’État, tenta de se gouverner selon la raison et la justice.

Les renégats des principes de 1789 ne furent donc pas les hommes de 1793, qui, au contraire, les appliquèrent. (Et n’est-ce pas pour les avoir appliqués qu’ils furent flétris de l’épithète de renégats par les beaux esprits rétrogrades ?) Logiquement, il n’y aurait pas de raison de ne pas appliquer plutôt cette épithète de renégats aux hommes de 1789, qui, après avoir proclamé l’égalité des droits, divisèrent la nation en citoyens actifs et en citoyens passifs, et aux anciens ordres privilégiés substituèrent une nouvelle classe privilégiée, la classe bourgeoise.

Ou plutôt, il n’y eut pas de renégats, mais de bons Français qui firent pour le mieux, dans des circonstances différentes, à des moments différents de notre évolution politique.

Je n’ai parlé que des conséquences politiques de la Déclaration des droits.

Il y a aussi des conséquences économiques et sociales, qu’il s’agit d’envisager, non avec la passion d’un homme de parti, mais en historien.

Ces conséquences, qu’on appellera plus tard le socialisme, elles furent voilées bien plus longtemps que les conséquences politiques, et aujourd’hui encore, il n’y a qu’une minorité des Français qui aient déchiré ce voile, que la majorité tâche au contraire de fixer, d’épaissir, avec des sentiments de respect religieux et de terreur.

Qu’est-ce au juste que ce principe ou ce dogme de l’égalité, objet de l’article 1er de la Déclaration ?

Les rédacteurs de cet article ont-ils voulu dire que les hommes nais-

  1. C’est ainsi que s’exprima jadis M. Saint-René Taillandier dans son livre, Les Renégats de 1789, souvenirs du cours d’éloquence française à la Sorbonne, 1877, in-8.