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CONSEQUENCES DE LA DÉCLARATION

puisque l’existence de l’autorité qui a le pouvoir de tolérer attente à la liberté de penser, par cela même qu’elle tolère et qu’ainsi elle pourrait ne pas tolérer[1]. » Quand l’article eut été voté, le Courrier de Provence s’écria « Nous ne pouvons dissimuler notre douleur que l’Assemblée nationale, au lieu d’étouffer le germe de l’intolérance, l’ait placé, comme en réserve, dans une Déclaration des droits de l’homme. » Et le journaliste (est-ce Mirabeau lui même ?) montra que cet article permettrait d’interdire le culte public aux non-catholiques[2].

Mais sauf en ce qu’elle ne proclame pas la liberté de conscience, la Déclaration des droits est nettement républicaine et démocratique.


V On peut la considérer à un double point de vue, négatif ou positif, comme détruisant le passé ou comme édifiant l’avenir.

Aujourd’hui, rétrospectivement, nous la considérons surtout au second point de vue, c’est-à-dire comme le programme politique et social de la France à partir de 1789. Les hommes de la Révolution la considéraient surtout au premier point de vue, comme la notification du décès de l’ancien régime, et, ainsi que le veut le préambule, comme une barrière contre une résurrection possible de cet ancien régime, tout de même que les Américains avaient édifié leur Déclaration des droits en machine de guerre contre le roi d’Angleterre et le système despotique.

L’autre point de vue, à savoir la Déclaration considérée comme programme d’une société à organiser, les Constituants le laissaient volontiers dans une demi-ombre, parce qu’il contredisait en partie le régime bourgeois qu’ils allaient établir.

Le principe de l’égalité des droits, c’est la démocratie, c’est le suffrage universel, pour ne parler que des conséquences politiques de ce principe, et ils allaient établir le suffrage censitaire.

Le principe de la souveraineté de la nation, c’est la république, et ils allaient maintenir la monarchie.

Ces conséquences étaient aperçues, non de la masse, mais des constituants, des hommes instruits. Et c’est bien pour cela que la bourgeoisie avait hésité à faire une Déclaration des droits. Une fois faite, on la masqua d’un voile, selon le mot du temps, et il y eut la politique du voile. « Je vais déchirer le voile ! » disaient parfois les orateurs exaltés, ceux qui se faisaient occasionnellement tribuns du peuple. Mais c’était l’exception. Il n’y eut pas d’abord de parti organisé qui réclamât l’appli-

  1. Mirabeau peint par lui-même, t. I, p.237
  2. Cet article se termine (Courrier de Provence, no XXXI, p. 48) par un éloge de « la secte protestante, secte paisible par essence, favorable à la raison humaine et à la richesse des nations, amie de la liberté civile, dont le clergé n’a point de chef et forme un corps de citoyens, d’officiers de morale stipendiés par l’État, occupés de l’éducation de la jeunesse, et intéressés, par l’esprit même de famille, au maintien des mœurs et à la prospérité de la chose publique ». Voir aussi, à propos de l’article 10, les Révolutions de Paris, no VIII, p. 2 et 3.