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LE DÉBUT DE LA RÉVOLUTION

mation que la nation est majeure, qu’elle se gouverne elle-même, non seulement en réalité, mais en droit. On peut dire qu’ici le fait précède le droit, et le légitime historiquement : le droit légitime le fait rationnellement.

J’ai dit que la Déclaration était presque entièrement républicaine. Elle ne l’est pas en un point, en un seul point, je veux dire pour ce qui est de la question de la liberté de conscience, où les purs principes rationalistes ne guidèrent pas les rédacteurs.

On sait que, dans le préambule, l’Être suprême est invoqué : « … En présence et sous les auspices de l’Être suprême[1]… »

Le projet du 6e bureau portait : « En présence du suprême législateur de l’Univers. » Laborde de Mereville demanda (20 août) qu’il ne fût pas question de Dieu : « L’homme, dit-il, tient ses droits de la nature : il ne les reçoit de personne. » Mais l’Assemblée nationale invoqua l’Être suprême, sans autre opposition que celle de Laborde de Mereville[2]. Et cela, semble-t-il, pour trois raisons principales : 1o parce que presque tous les Français d’alors, même anti-chrétiens, étaient déistes ; 2o parce que la masse du peuple était sincèrement catholique ; 3o parce que cette formule mystique, dans le préambule du grand acte révolutionnaire, était le prix de la collaboration du Clergé à la Déclaration des droits.

Sans doute, l’Assemblée se refusera (28 août) à voter la motion de l’abbé d’Eymar, déclarant la religion catholique religion d’État[3] ; mais, à l’occasion, elle se déclarait catholique[4] probablement pour complaire aux « curés patriotes » qu’elle comptait parmi ses membres, et aussi par égard pour les sentiments de la masse, surtout rurale, des Français. Elle n’entendait même pas mettre la religion catholique sur le même rang que les autres religions, et le constituant Voulland pouvait parler à la tribune, sans être contredit, de la convenance d’avoir une « religion dominante » et représenter la religion catholique comme « fondée sur une morale trop pure pour ne pas tenir le premier rang[5] ». C’est pourquoi, au lieu de proclamer la liberté de conscience, elle se borna (23 août) à proclamer la tolérance, par l’article 10, ainsi conçu : « Nul ne doit être inquiété pour ses opinions, même religieuses, pourvu que leur manifestation ne trouble pas l’ordre public établi par la loi. »

Mirabeau avait parlé éloquemment contre cette tolérance le 22 août : « Je ne viens pas prêcher la tolérance : la liberté la plus illimitée de religion est, à mes yeux, un droit si sacré que le mot tolérance, qui voudrait l’exprimer, me parait en quelque sorte tyrannique lui-même,

  1. Il n’était pas question de l’Être suprême dans le projet présenté par Mirabeau au nom de la Commission des Cinq.
  2. Voir les comptes rendus de Barère et de Le Hodey.
  3. Courrier de Provence, no XXXIV.
  4. Par exemple, le 13 avril 1790, jour où elle écarta une motion de Dom Gerle analogue à celle de l’abbé d’Eymar
  5. Point du Jour, t. II, p. 199.