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LA DÉCLARATION DES DROITS

Ainsi ce Mounier qui, soit dans son projet personnel de Déclaration, soit dans le projet présenté par lui au nom du Comité le 28 juillet, n’avait trouvé que des formules faibles, improvisa, en pleine séance publique de l’Assemblée, et fit accepter la formule forte du préambule et des trois premiers articles[1]. C’est que ce n’est plus l’avocat Mounier, isolé, discordant, incertain du succès de la Révolution, et travaillant à tirer, sous sa lampe, sa pensée de lui seul : c’est le membre d’un groupe fort, qui représente une nation victorieuse, et qui se trouve être l’interprète de la vie et de la réalité.

D’autres amendements furent improvisés, avec non moins de succès, par Alexandre de Lameth, Lally-Tolendal, Talleyrand[2].

D’ordinaire, ce fut un effort de concision. Parfois aussi ce fut un effort d’explication, et cela pour des raisons, non de goût et de rhétorique, mais de fait et historiques.

Par exemple, l’article 14 du projet du 6e bureau, qui servait de base à la discussion, était ainsi conçu :

« Nul citoyen ne peut être accusé ni troublé dans l’usage de sa propriété, ni gêné dans celui de sa liberté, qu’en vertu de la loi, avec les formes qu’elle a prescrites, et dans les cas qu’elle a prévus. »

C’était bien court contre l’arbitraire despotique, si compliqué, si vivace par l’usage et l’habitude héréditaires de souffrir. L’Assemblée, inspirée par la nation victorieuse, sentit le besoin d’une rédaction plus explicite, et cette rédaction, adoptée à l’unanimité[3], sortit comme spontanément du choc de vingt amendements[4]. Ce sont les articles 7, 8 et 9 de la Déclaration (votés le 21 août 1789).

À lire cette discussion dans les comptes rendus contemporains, on a l’impression que c’est la nation, devenue souveraine par des actes spontanés, qui dicte la Déclaration à ses représentants.

Cette Déclaration, inspirée par une nation monarchiste, rédigée par des députés monarchistes, est presque entièrement républicaine.

Il n’y est pas question de royauté, il ne s’y trouve pas la moindre allusion au pouvoir royal, ni même à l’utilité de la monarchie.

Au contraire, tout y est anti-monarchique : d’abord, le fait qu’il y ait une Déclaration, fait américain, fait républicain, formule d’une récente révolte républicaine qui a réussi ; ensuite et surtout, cette affir-

  1. Point du Jour, t.II. p. 178.
  2. Ibid., t. II, p. 180, 183, 186.
  3. Ibid., p. 195.
  4. Barère dit (Point du Jour, t. II, p. 191) : « Pour apprécier les travaux de l’Assemblée nationale, il suffira de comparer cette première rédaction avec celle qui est sortie du choc des opinions. » Il faut lire toute la discussion sur cet objet dans le même journal, p. 191 à 195. On y voit que « MM. Target, de Bonnay et du Port, ayant formé une espèce de coalition, ont concouru à rédiger ensemble les trois articles essentiels qu’on a substitués à l’article 14 du projet ». Je ne vois que deux articles du 6e bureau qui aient été adoptés textuellement, à savoir les articles 12 et 16 (qui dans le projet portaient les numéros 20 et 24). L’article 11 (sur la liberté de la presse) fut l’œuvre personnelle et improvisée du duc de La Rochefoucauld (Point du Jour t. II, p. 209.)