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LA DÉCLARATION DES DROITS

apprécier et mettre à profit leur exemple, ils doivent enfin, sous tous les rapports, donner à leur patrie, comme préliminaire indispensable de la constitution, une Déclaration des droits de l’homme et du citoyen. C’est une vérité à l’appui de laquelle se présente tout de suite l’idée de l’Amérique[1]… »

Le comte de Castellane voit dans la Déclaration la vraie arme contre l’arbitraire royal et le régime des lettres de cachet : « N’en doutons pas, Messieurs, l’on ne peut attribuer cette détestable invention qu’à l’ignorance où les peuples étaient de leurs droits. Jamais, sans doute, ils ne l’ont approuvée. Jamais les Français, devenus fous tous ensemble n’ont dit à leur roi : Nous te donnons une puissance arbitraire sur nos personnes ; nous ne serons libres que jusqu’au moment où il te conviendra de nous rendre esclaves, et nos enfants aussi seront esclaves de tes enfants ; tu pourras, à ton gré, nous enlever à nos familles, nous envoyer dans des prisons, où nous serons confiés à la garde d’un geôlier choisi par toi, qui, fort de son infamie, sera lui-même hors des atteintes de la loi. Si le désespoir, l’intérêt de ta maîtresse ou d’un favori convertit pour nous en tombeau ce séjour d’horreur, on n’entendra pas notre voix mourante ; ta volonté, réelle ou supposée, l’aura rendu juste ; tu seras seul notre accusateur, notre juge et notre bourreau. » Or le peuple peut seul faire respecter les lois contre le despotisme. Donc il faut proclamer les droits du peuple. Si on objecte que, « dans ce moment même, la multitude se livre à des excès », Castellane répond « que le vrai moyen d’arrêter la licence est de poser les fondements de la liberté ».

Quel langage républicain ! Et qu’on ne croie pas que les députés hostiles à une Déclaration parlassent d’un autre ton, puisque l’évêque de Langres avait été jusqu’à dire que le sujet d’une monarchie et le citoyen d’une république ont les mêmes droits[2].

Et que disaient les adversaires de toute déclaration ?

Voici comment le Courrier de Provence résume leur opinion[3] :

« MM. Crénière, Grandin, le duc de Lévis, l’évêque de Langres ont fortement insisté sur les inconvénients qui résulteraient, selon eux, d’une exposition des droits de l’homme et du citoyen dans une monarchie, où l’état actuel des choses leur est si souvent en opposition directe que le peuple peut en abuser. C’est un voile qu’il serait imprudent de lever tout à coup. C’est un secret qu’il faut lui cacher, jusqu’à ce qu’une bonne constitution l’ait mis en état de l’entendre sans danger. Un homme sage ne réveille point un somnambule qui marche entre des précipices, parce qu’au lieu de le sauver il risquerait de le perdre. On ne s’est pas exprimé de cette manière, mais nous rendons le sens des objections qui nous ont frappé, etc.[4] »

  1. Courrier de Provence, no XXII, p. 12.
  2. Point du Jour, t. II, p. 4.
  3. Courrier de Provence, no XXII, p. 22.
  4. Au fond, c’est l’opinion de Mirabeau, et cependant son journal fait chorus avec les partisans d’une Déclaration.