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L’ASSEMBLÉE NATIONALE

la politique du roi. En réalité, le roi n’avait aucune opinion, aucun programme. Il s’était laissé arracher ces promesses, parce qu’il avait besoin d’argent, et que Necker était, pour en obtenir, l’homme influent, indispensable.

Ce roi absolu n’a ni initiative ni pouvoir efficace. Il est celui qu’on harcèle, de qui on arrache des concessions, sur qui pèsent tour à tour le parlement, Necker et la cour. Il se contredit, se dégage sans cesse, sous la pression du moment. On le sait, et les gens éclairés ne prennent pas au sérieux ses promesses. Il ne semble pas que le roi ait une existence personnelle : c’est même en cette impersonnalité du roi que les partisans de la Révolution fondent leurs espérances : ils se disent qu’il n’y aurait, pour réussir, qu’à conseiller le roi avec une insistance prépondérante et suivie.

Sans doute, mais il y a des conseillers inamovibles : la reine et le comte d’Artois, la famille royale, la cour. Toujours présents, ils ont l’influence permanente, dans le sens rétrograde. Le roi, qui n’est de volonté avec personne, se sent de cœur avec eux. Il a des instincts de bonté, mais il est, à sa manière, aussi jaloux de son pouvoir absolu que l’avait été Louis XIV. Au fond, il désire maintenir telle quelle la royauté de droit divin, et il est aussi absolutiste que pieux. Nul dessein, d’ailleurs, en vue de cette politique de conservation. On louvoie au jour le jour. On est hypocrite, parce qu’on est faible. Mallet du Pan écrivait déjà dans son journal intime, en décembre 1787 : « D’un jour à l’autre, on change de systèmes et d’idées à Versailles sur la politique. Nulles règles, nuls principes. Le soleil ne se lève pas trois jours à Versailles pour éclairer le même avis. Incertitude de faiblesse et d’incapacité totale[1]. »

Ces promesses du Résultat du Conseil, elles avaient l’air fort nettes. Elles étaient rendues d’avance irréalisables par le soin qu’on avait eu de ne rien décider sur la manière dont délibéreraient les États généraux. Quoique dans les Assemblées provinciales on votât par tête, ce mode de vote n’est pas prescrit pour l’Assemblée nationale, et on n’en prescrit aucun. Les États décideront, ou plutôt ils ne décideront pas, se querelleront là-dessus, et leur discorde les annihilera. Oui, mais en ce cas on n’aura pas de subsides, et c’est pour avoir des subsides qu’on a convoqué les États. Alors quoi ? On ne sait pas ce qu’on veut, on ne compte que sur le hasard.

Donc, dans cette séance d’ouverture du 5 mai 1789, où il y avait l’occasion de frapper un grand coup, de prendre la direction des esprits et des événements, d’orienter l’évolution, comme nous dirions, le roi ne parle plus de ses promesses réformatrices, mais de ses droits. Il déclare qu’il commande à la nation, qu’il maintiendra intacts son autorité et les principes de la monarchie. Il veut le bien de ses sujets, mais ceux-ci ne peuvent l’espérer que de ses « sentiments ». C’est ainsi que naguère, quand le Parlement lui disait : Justice, il répondait : Bonté.

  1. Mallet du Pan, Mémoires, éd. Sayous, t. l, p. 136.