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LE DÉBUT DE LA RÉVOLUTION

se former. Le mode de convocation du tiers aux États généraux permet presque de prévoir l’avènement du suffrage universel et par conséquent l’établissement de la république, forme naturelle de la démocratie.


II Si le roi avait espéré que ces députés du Tiers état, issus d’un suffrage universel d’ignorants, n’oseraient rien entreprendre de sérieux contre le despotisme, il fut bientôt désabusé.

La cour croyait sans doute que ces élus de tant de peuples divers, porteurs de mandats vagues ou discordants, souvent chargés de faire prévaloir des privilèges locaux, de province ou de ville, seraient irrémédiablement divisés par des tendances particularistes, et que, par exemple, entre ces Provençaux et ces Bretons, entre cette nation provençale et cette nation bretonne, il y aurait rivalité et querelle. Et les cahiers faisaient prévoir ces divisions.

Il arriva au contraire que, réunis dans une même salle, à Versailles, pendant ce long piétinement sur place qui dura du 5 mai 1789 au milieu du mois suivant, il se forma parmi ces députés du Tiers un esprit de corps. Mieux que cela : à se regarder, à se parler, à se toucher la main, ces mandataires de peuples différents se sentirent citoyens d’une seule nation, Français avant tout, — et ils le dirent, et on le vit, et le sentiment d’un patriotisme unitaire commença à se répandre en France.

Cette nation, apparue tout à coup dans la salle des Menus, était une et avait une volonté : se gouverner par elle-même.

Le roi se sentit menacé, en tant que roi d’ancien régime. La Noblesse et le haut Clergé se sentirent menacés, en tant que privilégiés d’ancien régime. La Noblesse et la Couronne, jadis ennemies, se réconcilièrent aussitôt, sans pourparlers, sans phrases, sans dire pourquoi : le danger commun les rapprocha.

Un roi intelligent, qui eût hérité de l’esprit de Henri IV, se fût dégagé des embrassements dangereux de sa « fidèle noblesse », pour faire d’urgence à ses « fidèles communes » les concessions nécessaires, et rester roi à la mode nouvelle, autrement roi, mais roi tout de même, et même roi plus puissant qu’auparavant, appuyé qu’il eût été sur le peuple, sur la nation. La cour entraîna Louis XVI dans une alliance avec l’ancien régime, qui devait perdre la royauté.

Dès le début, par un cérémonial humiliant, il avait blessé le Tiers état, qui venait à lui plein d’amour.

D’autre part, ses premières paroles avaient été pour se démentir lui-même et désavouer ses promesses de réforme, le programme royal contenu dans le Résultat du Conseil du 27 décembre 1788, où il avait approuvé les principes et les vues du rapport de Necker, c’est-à-dire toute une révolution pacifique et réglée, qui, opérée à temps, eût pu empêcher la révolution violente et hasardeuse[1]. Officiellement, c’était là l’opinion,

  1. Voir mon étude sur le Programme royal aux élections de 1789, dans mes Études et leçons sur la Révolution française, première série, p. 41 à 54.