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LE DÉBUT DE LA RÉVOLUTION

d’être « compris au rôle des impositions[1]». C’était presque le suffrage universel.

Ce mode de suffrage, si contraire aux idées du siècle, la royauté l’avait-elle établi pour les mêmes raisons qui engageaient les philosophes et les écrivains réformateurs à le repousser ? Dans le peuple ignorant et pauvre, espérait-elle trouver des éléments de résistance aux idées novatrices et révolutionnaires de la bourgeoisie[2] ? Je n’ai pas trouvé, dans les textes, une réponse précise à cette question, mais il ne me semble pas invraisemblable que la royauté ait eu confusément l’idée de faire appel au suffrage universel contre l’opposition bourgeoise, à l’ignorance contre les lumières.

Ce calcul, s’il fut réellement fait, se trouva déçu par l’événement.

Sans doute, les cahiers sont plus timides que les livres et les pamphlets mais, généralement, on y réclame une Constitution, et une Constitution, c’était la fin de l’absolutisme ; c’était, en partie, la Révolution.

Et puis, il y a des cahiers très hardis.

On ne vit donc se réaliser ni les espérances de la royauté ni les craintes de la bourgeoisie, si tant est que la royauté et la bourgeoisie aient eu ces espérances et ces craintes.

En tout cas, voici comment le malentendu entre la bourgeoisie et le peuple se dissipa ou s’atténua, à l’occasion de la convocation et des cahiers.

Il y eut collaboration entre la bourgeoisie et le peuple pour rédiger

  1. D’après l’art. 25 du règlement général du 24 janvier 1789, étaient admis à ces assemblées « tous les habitants composant le Tiers état, nés Français ou naturalisés, âgés de vingt-cinq ans, domiciliés et compris au rôle des impositions, pour concourir à la rédaction des cahiers et à la nomination des députés ». À Paris, on sembla un peu plus préoccupé d’écarter les pauvres de l’exercice du droit de suffrage. Le règlement du 13 avril 1789 pour Paris ville porte (art. 13) que, pour être admis dans l’assemblée de son quartier, il faudra pouvoir justifier d’un titre d’office, de grades dans une faculté, d’une commission ou emploi, de lettres de maîtrise, ou enfin de sa quittance ou avertissement de capitation montant au moins à la somme de 6 livres en principal. Malgré cette restriction, d’ailleurs locale et exceptionnelle, nous ne croyons pas exagérer en disant que le Tiers état fut appelé presque tout entier aux assemblées de paroisse. Si, en fait, il arriva que beaucoup de Français du Tiers état ne comparurent pas, ne prirent pas part aux opérations électorales, ce ne fut point par la volonté du roi que ces défaillances se produisirent, ni même le plus souvent par la négligence des défaillants, mais à cause des vices de l’organisation administrative et judiciaire, et parce que, dans ce chaos de l’ancien régime, rien ne pouvait s’opérer régulièrement, uniformément. Quel qu’ait été le chiffre de ces abstentions, pour la plupart involontaires, on peut dire que ce fut une des consultations nationales les plus larges, les plus importantes, les plus imposantes qui aient eu lieu en France.
  2. Il faut remarquer que les Français du Tiers étaient tenus d’aller voter. Art. 24 du règlement : « Huitaine au plus tard après la notification et publication des lettres de convocation, tous les habitants composant le Tiers état des villes, ainsi que ceux des bourgs, paroisses et communautés de campagne, ayant un rôle séparé d’impositions, seront tenus de s’assembler dans la forme ci-après prescrite, à l’effet de rédiger le cahier de leurs plaintes et doléances, et de nommer des députés pour porter ledit cahier aux lieu et jour qui leur auront été indiqués par l’acte de notification et sommation qu’ils auront reçu. »